Au terme d’une longue et vaine quête législative, le principe d’origine constitutionnelle (1946) d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes connaîtra t-il au 1er janvier 2012 son épilogue et sa consécration pratique ?
Deux lois récentes renforcent l’arsenal des codes (I) mais c’est – curieusement – le travail de la Cour de cassation (II) qui sera probablement le mieux à même de faire mentir la célèbre formule de Georges Orwell : « la femme est l’égale de l’homme, mais le plus égal des deux c’est encore l’homme… »
Les travaux de la HALDE démontrent suffisamment la réalité de l’inégalité professionnelle des deux sexes : le salaire moyen des femmes est de 19 % inférieur à celui des hommes dans l’emploi privé ; alors qu’elles représentent 47% de la population active seulement 17,4% des femmes occupent des postes d’encadrement.
La HALDE vient de formuler 26 propositions à l’attention du gouvernement dont :
– enrichir le rapport de situation comparée (RSC)
– développer la sensibilisation et la formation de l’encadrement des organisations syndicales
I – L’ARSENAL LEGISLATIF
A – Loi n°2011 -103 du 27 janvier 2011
Ce texte impose désormais aux conseils d’administrations et de surveillance des SA et commandites par action (SCA) de délibérer annuellement sur la politique de la société en termes d’égalité professionnelle et salariale. Cette délibération s’opère sur la base du RSC dans les entreprises de plus de 300 salariés lequel est soumis aux consultations du Comité d’entreprise.
Dans les entreprises de moins de 300 salariés le conseil délibérera en s’appuyant sur le plan d’action qui aura pu être négocié dans l’entreprise (cf articles L. 1142-4 et L. 1143-1 du code du travail) ; Dans les entreprises qui ne disposent ni d’un rapport ni d’un plan, le conseil délibèrera sans référence à un document particulier.
La loi est d’application immédiate et les premières délibérations auront donc lieu en 2011.
Si la délibération précitée n’ajoute rien aux obligations issues du code du travail, elle semble simplement destinée à conférer au plan ou à l’accord d’entreprise un écho supplémentaire.
La loi a introduit par ailleurs un nouvel alinéa à l’article L.225-17 du code de commerce : « le conseil d’administration est composé en recherchant une représentation équilibrée des hommes et des femmes. » ; dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché règlementé : « la proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40% » ; Cette dernière obligation s’applique aux sociétés non cotées dont l’effectif et le chiffre d’affaires net excèdent certains seuils.
Des dispositions de même nature existent pour les conseils de surveillance.
B – Loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010
Essentiellement consacré à la réforme des retraites, ce texte pénalise financièrement les entreprises d’au moins 50 salariés qui n’auront pas conclu d’accord ou de plan d’action sur l’égalité professionnelle hommes femmes au 1er janvier 2012.
L’entreprise doit engager une négociation d’une part sur les objectifs d’égalité, d’autre part sur les mesures permettant de les atteindre, et ce sur quatre plans notamment :
– conditions d’accès à l’emploi
– formation (et promotion) professionnelles
– conditions de travail et d’emploi (et en particulier celles des salariées à temps partiel)
– articulation entre la vie professionnelle et les responsabilités familiales.
Trois décrets sont attendus dans les semaines à venir pour préciser l’obligation et la sanction financière de son éventuel non-respect.
Le texte ne porte donc pas sur la question spécifique de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes qui demeure l’apanage de la NAO (Négociation Annuelle Obligatoire) dans le cadre de l’article L 2242-7 du code du travail : « la négociation sur les salaires effectifs que l’employeur est tenu d’engager chaque année (…) vise également à définir et à programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. »
II – VERS UNE MULTIPLICATION DES CONTENTIEUX INDIVIDUELS ?
Les constructions législatives modernes en droit du travail, dont les textes récents sur l’emploi des seniors et sur la pénibilité sont autant d’avatars, se caractérisent par la menace d’une sanction financière stimulant la négociation d’entreprise ; face à l’échec de la procédure du « name and shame » nul doute que la prévention des risques psychosociaux empruntera prochainement la même voie coercitive.
Mais ces textes resteraient d’une efficacité limitée sans l’apport d’une jurisprudence offensive.
Cet effet de ciseaux nous semble devoir faire entrer le thème de l’égalité professionnelle dans le spectre des politiques de « risk management » des entreprises françaises.
A – Effets collatéraux des textes législatifs
Des négociations systématisées dans les entreprises, étayées par des RSC enrichis, vont conduire à publier des accords ou plans d’actions programmant des mesures destinées à supprimer les inégalités professionnelles mais aussi les inégalités de rémunération entre hommes et femmes.
La loi du 9 novembre 2010 a supprimé la date limite du 31 décembre 2010 (tout écart salarial devait être réduit à cette date prévoyait initialement la loi n°2006-340 du 23 mars 2006) mais le mécanisme qu’elle adopte devrait être plus efficace.
En effet, programmer une réduction puis une suppression des inégalités c’est porter ces inégalités à la connaissance de tous ; sans doute les indicateurs utilisés dans le RSC demeurent-ils exclusivement collectifs mais il n’est pas douteux, si les organisations syndicales et l’administration du travail jouent leur rôle, que l’entreprise va se trouver brutalement confrontée à un lourd risque contentieux qui portera potentiellement :
– sur l’égalité professionnelle (déséquilibre des conditions d’accès à l’emploi, de formation, de travail etc.)
– sur légalité de rémunération
– mais également sur l’égalité de traitement.
B – Jurisprudences de la Cour de cassation
Deux arrêts de la Cour de cassation ouvrent un champ considérable à ces actions judiciaires :
– le premier (Cass Soc. 1er juillet 2009 n°07-42675) prône l’égalité de traitement (sauf justifications objectives) entre catégories professionnelles au sein des accords collectifs, excluant par exemple d’attribuer aux cadres plus d’avantages qu’aux employés en matière de durée du travail, de congés payés, d’avantages de retraite et de prévoyance etc.
– le second (Cass. Soc. 6 juillet 2010 n°09-421) pose le principe d’une nécessaire égalité de traitement entre fonctions différentes mais de même « poids ». Au cas particulier, une DRH était moins payée que ses collègues du Codir et a obtenu, une fois licenciée, un alignement rétroactif de sa rémunération sur celle du directeur commercial ; la « valeur égale du travail » s’apprécie – rappellent les juges – en fonction de critères objectifs tels que niveau hiérarchique, niveau de classification, de responsabilité, importance comparable dans le fonctionnement de l’entreprise, fonctions exigeant des capacités comparables et représentant une charge nerveuse de même ordre.
La HALDE dans sa délibération n°2011/66 du 7 mars 2011 n’a pas manqué de noter que : « la jurisprudence récente de la Cour de cassation (…) ouvre de nombreuses perspectives en termes de comparaison des emplois et de réduction des écarts de salaire entre les hommes et les femmes. »
Il est donc vraisemblable que les entreprises françaises vont rapidement être confrontées à la nécessité de réduire effectivement les inégalités entre hommes et femmes car leur « affichage » devrait inciter à une multiplication des contentieux individuels sous l’égide d’une redoutable jurisprudence de cassation.