Transposition d’une directive contraire à la Constitution
CE 8 février 2007, n°287110, SOCIETE ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE et autres
Par une première décision, rendue à la requête de la société Arcelor Atlantique et Lorraine, le Conseil d’État a précisé, à l’occasion de l’examen d’un recours dirigé contre un décret transposant une directive communautaire, les conditions de la nécessaire conciliation entre la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique interne et les exigences liées à la participation de la France à l’Union européenne et aux Communautés européennes.
Il est admis que les traités internationaux, y compris communautaires, ont une autorité supérieure aux lois mais inférieure à la Constitution. En revanche, cette suprématie de la Constitution doit être conciliée avec les exigences liées à la participation de la France à l’Union européenne et aux Communautés européennes, inscrite dans la Constitution à l’article 88-1. Parmi ces exigences figure celle de transposition des directives qui n’ont pas d’effet direct.
Il est donc possible que ces deux principes entrent en conflit lorsque la transposition d’une directive conduit à l’adoption d’une mesure législative ou réglementaire contraire à une autre règle ou à un autre principe de valeur constitutionnelle. Tel était le cas en l’espèce. Les requérants sollicitaient l’annulation d’un décret transposant une directive sur la base de la méconnaissance par ce décret de différents principes à valeur constitutionnelle, notamment le principe d’égalité.
Par cette décision, le Conseil d’État précise que, en pareille hypothèse, le juge doit procéder en deux temps. Il doit d’abord rechercher si les principes constitutionnels dont la méconnaissance est invoquée ont un équivalent dans l’ordre juridique communautaire et est effectivement et efficacement protégé par le droit communautaire « primaire ». Dans l’affirmative, soutenir que le décret est contraire à la Constitution revient donc à soutenir que la directive (que ce décret ne fait que transposer) est contraire au droit communautaire primaire. Le juge procède alors comme d’ordinaire lorsque est critiquée devant lui la validité d’une directive : si les critiques formulées à l’encontre de celle-ci ne mettent pas sérieusement en cause sa validité, le juge national peut, de lui-même, écarter ces critiques ; si, en revanche, il existe une difficulté sérieuse, il doit alors renvoyer la question à la CJCE, qui détient le monopole de l’appréciation de la validité du droit communautaire dérivé. Si la Cour déclare que la directive est contraire au droit communautaire primaire, il appartient alors au juge national d’en tirer les conséquences en annulant le décret transposant cette directive illégale.
Si, en revanche, le juge national n’identifie pas, dans l’ordre juridique communautaire, un principe équivalent au principe constitutionnel invoqué par le requérant, parce que ce principe est en réalité spécifique à la Constitution française, il lui appartient seulement d’examiner, comme il le fait d’ordinaire, si le décret est conforme à ce principe et, dans la négative, d’annuler le décret pour inconstitutionnalité.
En l’espèce, le Conseil d’État a estimé que le principe constitutionnel d’égalité, invoqué par la société requérante, trouvait un équivalent dans le droit communautaire. Comme la conformité de la directive au principe communautaire d’égalité posait une difficulté sérieuse, il a donc, conformément à la méthodologie qu’il s’était lui-même fixée, décidé de renvoyer cette question à la Cour de justice des Communautés européennes, à la décision de laquelle l’issue du litige est donc désormais suspendue.
Cette décision manifeste de la part du Conseil d’État le souci de tirer toutes les conséquences de la confiance réciproque qui doit présider aux relations entre systèmes nationaux et système communautaire de garantie des droits. On ne peut, au regard de la présente décision, que constater la mise en œuvre du principe de subsidiarité appliqué à la défense des droits et libertés.
(Source : CE, 8 février 2007, communiqué)
Responsabilité de l’État en cas de méconnaissance par une loi d’une convention internationale
Conseil d’Etat, 8 février 2007, n°279522, Monsieur G.
Par une seconde décision, rendue à la requête de M. G., le Conseil d’État, procédant à un revirement de jurisprudence, a précisé les conséquences qui s’attachent, en ce qui concerne la responsabilité de l’État, à la méconnaissance, par une loi, d’une convention internationale.
Traditionnellement, la responsabilité de l’État du fait des lois ne pouvait être engagée que dans le cas où une loi a rompu l’égalité des citoyens devant les charges publiques conformément à la jurisprudence La Fleurette (CE, 14 janvier 1938, société des produits laitiers La Fleurette). Néanmoins, une telle responsabilité est soumise à des conditions strictes, de sorte qu’elle demeure exceptionnelle. En effet, elle suppose que, d’une part, la loi n’ait pas entendu exclure toute indemnisation et, d’autre part, que le préjudice en cause revête un caractère grave et spécial de nature à avoir manifestement rompu l’égalité des citoyens devant les charges publiques qu’ils doivent normalement supporter dans l’intérêt général.
En revanche, jusqu’à présent, la responsabilité de l’État et la réparation du préjudice résultant de la violation d’une convention internationale par la loi n’avait jamais été expressément reconnue.
Ainsi, dans l’arrêt rapporté, le Conseil d’État affirme que, compte tenu des obligations qui sont celles de l’État pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, il est tenu de réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France, et notamment du droit européen.
En l’espèce, le requérant avait demandé, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS), à être déchargé de différentes cotisations, en raison de l’illégalité, constatée par le Conseil d’État, du décret qui prévoyait ces dernières. Toutefois, une loi de validation avait validé les appels de cotisations effectués en application dudit décret, ce qui avait conduit le TASS à rejeter les prétentions du requérant.
Considérant que cette loi de validation était contraire à l’article 6 § 1 de la Convention, qui protège le droit au procès équitable, le requérant avait saisi les juridictions administratives afin d’obtenir réparation du préjudice résultant de cette loi de validation.
Dans l’arrêt rapporté, le Conseil d’État a considéré que la loi de validation en cause ne reposait pas sur un impérieux motif d’intérêt général, comme l’exige la jurisprudence de la CEDH et qu’en conséquence elle était contraire à l’article 6 de la Convention. Il a donc condamné l’État, en raison de cette violation, à indemniser le requérant de son préjudice, c’est-à-dire à lui verser le montant des cotisations dont, sans l’intervention de cette loi, il aurait pu obtenir le remboursement.
Cette décision contribue ainsi à renforcer l’obligation, pour l’ensemble des pouvoirs publics, de respecter les engagements internationaux de la France, notamment le droit européen des droits de l’homme, et, dès lors, à rendre plus effective la garantie des droits qui en résultent pour les citoyens.
(Source : CE, 8 février 2007, communiqué)