Les fidèles amateurs des œuvres de Joyce Carol Oates ont l’habitude d’intrigues foisonnantes savamment orchestrées, au cours desquelles s’exerce l’œil pointilleusement scrutateur et férocement critique de l’auteur. Rien de tel dans son dernier opus «J’ai réussi à rester en vie »[1], titre français qui est en fait la dernière phrase du récit alors que l’intitulé original « A widow’s story » est plus explicite dans sa sécheresse. Car cette fois, c’est d’elle-même qu’elle parle, décortiquant sans indulgence ni fausse pudeur sa propre existence au moment où la bouleverse cet événement, certes prévisible, mais en l’occurrence brutal et inattendu : le décès de son mari.

C’est une très belle histoire d’amour en même temps qu’une émouvante autobiographie et la relation d’un moment de désarroi extrêmement douloureux. On partage avec une profonde sympathie le deuil d’une amie.

Pas beaucoup plus gai, le récit de Cécile Wajsbrot « L’hydre de Lerne »[2] dont l’incipit est « Ces temps-ci, je vais m’asseoir au bord du désastre et je regarde les gens et les humeurs s’éloigner, glisser à la dérive ». Sa grand-mère a perdu le langage à la suite d’une attaque d’hémiplégie et son père, abandonné par son épouse, sera atteint de la maladie d’Alzheimer. Des silences qu’elle assimile à ceux qui ont longtemps recouvert l’histoire tragique de sa famille juive. L’auteur dit, dans une prose tendue, une infinie douleur : la sincérité de la confidence, qui garde beaucoup de pudeur, touche profondément.

« Cher Monsieur, Jeanne m’a quitté il y a maintenant trente-sept jours et trente-sept nuits ».
C’est ainsi que commence la première lettre que le narrateur de « L’homme sans lumière »[3] de Richard Andrieux, adresse (envoie ?) à un inconnu dont il épie tous les gestes, car il croit reconnaître en lui « le même ennui, la même souffrance et cette même incapacité à approcher le bonheur » par lesquels lui-même se sent accablé. On a peine à imaginer désespoir plus noir, décrit avec une lucidité plus cruelle, dans une langue sans fioritures mais d’une force insoutenable.

« Bois »[4] de Fred Gevart est un premier thriller labyrinthique dont les ingrédients sont le terrorisme à la française, façon Action Directe et l’amnésie. On se laisse entraîner dans d’habiles entrelacs sans pour autant démêler vraiment l’écheveau, malgré l’aide de typographies différentes.

Plutôt sulfureux, mais avec une jubilation diabolique qui réjouit le lecteur familier et admirateur de Jacques Chessex, « L’interrogatoire »[5] est une œuvre posthume dans laquelle l’immense écrivain suisse, décédé en 2009, fait à la fois les questions et les réponses, dans un dialogue avec lui-même et avec ses lecteurs d’une parfaite impudeur. Les aveux de ce provocateur sardonique qui a troublé pendant des années la sérénité helvétique, sont évidemment tout aussi jubilatoires pour lesdits lecteurs.

Plus divertissant, si on veut bien, « Le Bloc »[6] de Jérôme Leroy évoque ce moment où un groupe de ministres d’extrême-droite entre au gouvernement de la France. Si l’idée fait frémir, le roman à clefs offre le plaisir de les élucider, mais montre avant tout de la part de l’auteur, une connaissance sérieuse de la pensée de ce courant et de celle des adversaires que ce dernier combat.

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[1] Philippe Rey 2011, 475 p
[2] Denoël 2011, 188 p
[3] Editions Héloïse d’Ormesson 2009, 131p
[4] Ecorce éditions 2010, 224p.
[5] Grasset 2011, 158p.
[6] Gallimard Série Noire 2011