Ambitieux dessein que celui de raconter l’histoire d’une famille est-allemande sur plus de trois générations, sans didactisme, ni parti-pris. Autant dire d’emblée que dans Quand la lumière décline [1] Eugen Ruge, né en URSS en 1954, relève le défi avec brio. Peut-être la motivation personnelle de l’auteur, empruntant beaucoup à son destin et à celui des siens, donne-t-elle à sa fiction ce ton de véracité qui emporte l’adhésion du lecteur. La forme que cet homme, qui écrit des textes pour le théâtre ainsi que des pièces radiophoniques, donne à son premier roman contribue tout autant à la qualité remarquable de l’ouvrage.

Les titres des chapitres, de longueurs diverses, sont remplacés par des dates, celles qui reviennent le plus fréquemment étant le 1er octobre 1989, date où l’aïeul, ancien apparatchik au sombre passé fête son 90ème anniversaire dans un providentiel état de démence et 2001, année où Alexandre, son petit-fils, metteur en scène, souffrant d’une tumeur inopérable s’apprête à gagner le Mexique après avoir rendu une dernière visite à son père, célèbre historien de la DDR, devenu sénile. Au fil d’une chronologie non linéaire où apparaissent bien d’autres repères, les nombreux personnages sont mis en scène. Leurs rapports familiaux apparaissent ou réapparaissent cependant qu’ils traversent les évènements et les souvenirs de leur histoire personnelle, qui s’inscrivent évidemment dans la grande Histoire. Amours, naissances, liaisons, ruptures, travaux et jours ponctuent des existences qui se révèlent peu à peu au lecteur émerveillé par l’habileté de la construction romanesque, servie par un art consommé de la précision du détail, la force du non-dit et le talent de la chute.

C’est aussi la découverte du quotidien de citoyens de la RDA, victimes plus ou moins consentantes d’un système politique dans lequel, plus que dans tout autre,  le silence, la soumission, le mensonge, la duplicité produisent ascensions fulgurantes et chutes brutales, mises en lumière et effacements, triomphes ou désespoirs.

Quand la lumière décline est un très grand livre, savamment orchestré,  dénonçant le plus souvent avec une ironie féroce des rouages et des comportements destructeurs qui bafouent les valeurs humanistes mais atteignant à l’universel dans le respect des humains et l’indulgence empathique à l’égard de leurs faiblesses.

[1] Les escales éditeur 2012