Après des mois d’attente, une médiation "ratée" et des débats sans fins, la Cour de cassation – fait rare – réunie en Assemblée Plénière et présidée par Monsieur Guy Canivet, devait rendre lundi 9 octobre 2006 une décision, ou plutôt "la décision" dans le dossier Bernard Tapie – Adidas contre le Crédit Lyonnais et autres.
Confiant à la suite du rapport (mis en ligne par erreur) du magistrat en charge du dossier, Madame Evelyne Collomp, remplacée depuis par Monsieur Bruno Petit, et des conclusions prises le 6 octobre par l’Avocat général, Monsieur Maurice Antoine Lafortune, le choc pour Bernard Tapie n’en a été que plus rude.
En effet, par un arrêt suscitant déjà les "passions", les Hauts magistrats ont cassé partiellement, le 9 octobre 2006, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 septembre 2005 qui avait accordé la somme de 135 millions (augmentée à 145 millions en raison d’une erreur matérielle) aux mandataires à la liquidation de Bernard Tapie.
Cette décision représente un nouvel épisode dans ce dossier fleuve, et met en lumière les difficultés rencontrées par les magistrats pour déterminer les limites de l’obligation d’information dans le cadre des groupes de sociétés (Cf. nombreuses décisions rendues récemment qui feront l’objet d’un article de fond dans La Revue ultérieurement).
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en se fondant sur deux moyens.
- D’une part, la Cour d’appel reprochait au Crédit Lyonnais de ne pas avoir accordé les mêmes financements à Bernard Tapie qu’à certains cessionnaires des participations du Groupe Tapie dans la société Adidas. La Cour de cassation en application d’une jurisprudence constante a rappelé qu’un établissement financier est libre d’accepter ou de refuser un financement sans avoir à en justifier.
- D’autre part, la Cour d’appel reprochait au Crédit Lyonnais d’avoir manqué à ses obligations contractuelles envers les filiales de Bernard Tapie.
Par un raisonnement qui mérite d’être repris intégralement, la Cour de cassation a estimé que la filiale du Crédit Lyonnais, la banque d’affaire SDBO, personne morale indépendante, et seule signataire du contrat, jusqu’à la preuve du contraire, n’avait commis aucune faute.
"Vu les articles 1134 et 1165 du code civil ;
Attendu que pour retenir la responsabilité du Crédit lyonnais, l’arrêt retient que, bien qu’il n’ait pas été signataire du mandat ni d’aucune des conventions souscrites avec les sociétés GBT, FIBT et BTF SA en décembre 1992, cet établissement, qui s’était activement impliqué dans la conception et l’exécution de ces accords, notamment en consentant et en organisant les financements nécessaires au montage imaginé avec les coacquéreurs des participations Adidas, et qui avait même accepté de rendre compte de son action devant la presse et la commission d’enquête parlementaire chargée d’analyser l’opération, était obligé par le mandat ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que les mandataires liquidateurs, qui fondaient leur action sur des manquements aux articles 1116, 1134, 1596, 1991 et 1992 du code civil, avaient choisi d’agir sur le seul terrain contractuel, que les sociétés GBT, FIBT et BTF SA n’avaient traité, pour l’opération considérée, qu’avec la seule SDBO, personne morale distincte dont il n’était prétendu ni qu’elle aurait été fictive ni que son patrimoine se serait confondu avec celui de sa maison mère, la cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à faire apparaître que l’immixtion du Crédit lyonnais dans l’exécution du mandat délivré à sa filiale avait été de nature à créer pour les mandants une apparence trompeuse propre à leur permettre de croire légitimement que cet établissement était aussi leur cocontractant, ce dont elle aurait alors pu déduire que ce dernier était obligé par un mandat auquel il n’avait pas été partie, n’a pas donné de base légale à sa décision ;"
Ainsi, la Haute Cour a appliqué un principe classique : une société ne peut voir engager sa responsabilité contractuelle si elle n’a pas signé de contrat.
Le mandat litigieux sur lequel les mandataires fondent leur recours ayant été signé entre les filiales de Bernard Tapie et la SDBO, personne morale indépendante et autonome, le Crédit Lyonnais n’en était pas signataire, et ne pouvait être condamné en responsabilité contractuelle sur le fondement de cet acte.
Les avocats de Bernard Tapie devront donc s’interroger sur le maintien de leurs demandes à ce titre et sur la possibilité d’engager la responsabilité délictuelle des banques en cause d’appel.
On rappellera que ce raisonnement basé sur la notion de rapports entre sociétés mère et filiales d’un même groupe (notion toujours floue en droit français) a récemment été utilisé pour éviter à la société Metalleurop toute condamnation solidaire pour la pollution de son usine dans le Nord Pas de Calais.
La Cour de cassation a donc cassé "en droit" l’arrêt d’appel, mais uniquement du chef des condamnations prononcées contre le CDR Créance et le Crédit Lyonnais, et renvoyé les parties à en débattre devant la Cour d’appel de Paris autrement constituée.
Toutefois, et en procédant à une nouvelle analyse de la cause, il serait tout à fait envisageable que les magistrats condamnent encore plus lourdement le Crédit lyonnais et ses filiales, notamment sur le fondement de la violation par SDBO de son "obligation de loyauté" ; le débat reste donc ouvert.
Cette décision que certains n’hésitent déjà pas à qualifier de "politique" permet de facto à la Cour de cassation d’échapper à la critique populaire en cette période d’instabilité et à quelques mois d’importantes échéances électorales, repoussant le débat après l’élection présidentielle de 2007.
Saisissant "la balle au bond", le ministre de l’économie, Thierry Breton, suivi de près par le Président du CDR, Jean Pierre Aubert, s’est immédiatement dit favorable à la reprise de discussions concernant une possible conciliation globale, dans l’intérêt général des parties.
Lors de la conférence de presse organisée par Bernard tapie, ce dernier s’est dit conforté par la décision "qui n’a rien jugé au fond", a déclaré qu’une négociation ne serait envisageable que si elle concernait l’ensemble des procédures en cours et devant trois arbitres, et précisé "nous en sommes à zéro-zéro. Je me suis fait remonter au score et là on est dans les prolongations."
La balle est dans le camp de Bernard Tapie, gageons qu’il saura tirer partie de son expérience politique et de dix ans de bataille judiciaire pour, à 63 ans, sortir par le haut de ce litige en évitant d’agir sur un coup de tête…