L’enquête interne anti-corruption, qui avait jusqu’à présent fait l’objet de publications éparses, s’est récemment vue consacrer un guide pratique, publié conjointement par l’Agence Française Anti-corruption (AFA) et le Parquet National Financier (PNF), le 14 mars 2023. L’enquête interne y est expressément présentée comme « un outil de gestion saine » permettant aux dirigeants de prendre (i) la mesure des difficultés détectées au sein de leur organisation, et (ii) les décisions de nature à remédier aux enjeux et risques qu’elle aura permis d’identifier.

Nous vous proposons un premier décryptage des enseignements de ce texte.

1. Qu’est-ce que l’enquête interne ?

L’enquête interne correspond à la procédure d’investigation mise en œuvre par une société ou un groupe de sociétés faisant face à des soupçons de faits susceptibles de constituer la violation d’une règle interne ou de dispositions législatives ou réglementaires. Elle vise à identifier de potentiels manquements à ces règles, à mettre en place des mesures correctrices dans des délais réduits et, le cas échéant, à définir une stratégie judiciaire. Les sociétés jouent alors un rôle dual, étant à la fois instigateur et sujet de l’enquête interne.

Initialement cantonnée en France à la matière sociale, l’enquête interne a connu un véritable essor depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin II, et trouve naturellement sa place dans les dispositifs de conformité mis en place au sein des entreprises et du secteur public.

2. Qui est concerné par ces recommandations ?

Le guide pratique vise assez logiquement toutes les sociétés et établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) dépassant les seuils fixés par l’article 17 de la loi Sapin 2[1].

L’AFA et le PNF rappellent toutefois que le guide pratique s’adresse également aux entreprises de taille plus modeste qui se seraient engagées dans la mise en œuvre d’un dispositif anti-corruption. Ces dernières, bien que non-assujetties à l’article 17 de la loi Sapin 2, peuvent effectivement être conduites à déployer des programmes de conformité dans le cadre d’une démarche volontaire, ou afin de satisfaire aux exigences de leurs partenaires commerciaux et prospects, par exemple, lors de la soumission à des appels d’offres.

3. Quand diligenter une enquête interne ?

Faute de cadre légal spécifique, diligenter une enquête interne n’est pas obligatoire en matière de corruption et de manquements à la probité. L’AFA et le PNF rappellent d’ailleurs que le guide pratique n’a pas de valeur contraignante, et ne créé pas d’obligation juridique.

Sous l’impulsion de la publication du guide pratique et des récentes directives du PNF en matière de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), les sociétés sont toutefois encouragées à recourir plus fréquemment à l’enquête interne, désormais présentée comme un préalable à l’obtention d’un avantage concret : une potentielle minoration du montant de l’amende prononcée lors de la conclusion d’une CJIP (v.infra, § 5).

La décision de diligenter une enquête interne interviendra généralement dans le prolongement d’un signalement interne ou externe, notamment par un lanceur d’alerte, à l’issue d’un audit de l’organisation, ou en marge d’une procédure arbitrale ou judiciaire, notamment dans le prolongement d’une perquisition.

En pratique, une enquête interne peut être utile dès qu’une société identifie des comportements susceptibles de caractériser des infractions. Toutefois, les recommandations formulées dans le guide pratique visent des faits « susceptibles de constituer des violations du code de conduite anticorruption ou des indices de faits susceptibles d’être qualifiés de corruption ou de trafic d’influence ». Le champ de l’enquête interne devra en réalité être souvent plus large, dans la mesure où des infractions connexes et/ou manquements à une réglementation peuvent également constituer des indices de faits de corruption ou de trafic d’influence.

Par comparaison, dans les matières relevant du droit social, l’employeur est tenu de diligenter une enquête interne, notamment en cas de suspicion de harcèlement moral, sexuel, ou de souffrance au travail, au risque d’engager sa responsabilité pour manquement à son obligation de sécurité.

4. Quelles sont les règles à respecter ?

Afin de servir au mieux sa fonction d’outil de recherche et de collecte d’éléments de preuve et d’analyse des manquements, l’enquête interne doit être conduite dans le respect d’un certain nombre de principes directeurs, au rang desquels figurent notamment la loyauté, l’impartialité, la confidentialité, la discrétion et la proportionnalité.

Au cours de l’enquête, le respect de la vie privée des salariés et personnes interrogées devra être préservé. Et, les données personnelles devront être traitées conformément aux règlementations protectrices en vigueur, ce qui est de nature à questionner les transferts d’informations susceptibles d’être effectués intra-groupe, notamment entre des sociétés situées en France et hors de l’UE.  

Tout manquement à ces règles serait susceptible d’entacher les preuves collectées d’illicéité dans le cadre d’une procédure civile ou prudhommale. Si le guide précise qu’un défaut d’information préalable du salarié n’a pas d’impact sur la recevabilité de la preuve en matière pénale, il conviendra de pondérer les situations, au cas par cas, afin de déterminer la meilleure stratégie à mettre en œuvre. 

Il sera ainsi utile de définir en amont les modalités de composition et de désignation de l’équipe d’enquête qui, en sus de disposer d’une formation et d’une expertise en la matière, devra être parfaitement indépendante dans la conduite de sa mission.

L’ensemble de ces éléments pourront être intégrés au sein de documents destinés aux salariés et aux dirigeants, sous forme d’une charte et/ou d’une procédure de l’enquête interne, en présentant l’objet, le fonctionnement, ainsi que les droits garantis dans ce cadre.

5. Quelles sont les suites à donner à une enquête interne ?

Le rapport d’enquête pourra être transmis aux autorités judiciaires, preuve d’un « gage de volonté de coopérer en cas de CJIP ». Les lignes directrices du PNF précisent à ce titre que la pertinence des enquêtes internes est susceptible d’ouvrir la voie à une réduction de l’amende prononcée lors de la mise en place d’une CJIP – jusqu’à 20% de son montant – étant rappelé que le montant total de l’amende peut atteindre 30% du chiffre d’affaires moyen annuel enregistré sur les trois derniers exercices à compter du constat du manquement.

Bien que la transmission du rapport d’enquête puisse effectivement ouvrir la voie à un rapprochement avec l’autorité judiciaire en vue de la mise en place d’une CJIP, les conclusions de l’enquête interne doivent avant tout servir à analyser l’opportunité d’une démarche de collaboration avec le parquet, qui reste en tout état de cause facultative.

6. Quel est le rôle de l’avocat dans le cadre d’une enquête interne ?

La conduite d’une enquête interne ne consiste pas exclusivement à réaliser des auditions, et requiert avant tout une étude approfondie des éléments relatifs aux manquements potentiellement commis.

C’est la raison pour laquelle l’avocat, qui se prête de façon systématique à un travail d’analyse de chaque dossier, se présente comme un partenaire de choix dans le cadre d’une enquête interne.

En outre, l’intervention d’un avocat au stade de l’enquête lui permettra d’avoir une connaissance approfondie du dossier, d’éclairer au mieux son client sur l’intérêt d’une entrée en négociation avec les autorités et, le cas échéant, de bâtir une stratégie de défense.

Outre la technique des auditions, l’analyse documentaire et le conseil prodigué s’agissant du niveau d’exposition au risque, un des enjeux majeurs relève de la protection apportée par le secret professionnel sur les travaux de l’enquête interne.

Comme l’a précisé l’Ordre des avocats [2] le 13 avril 2023, « les notes d’entretiens et le rapport d’enquête interne qui seraient établis par un avocat et transmis à son client sont pleinement protégés par le secret professionnel ». En conséquence, ces éléments ne pourront, en théorie, pas être saisis en cas de perquisition ou de visite, ou à tout le moins être exploités à des fins de poursuites.

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En définitive, ce guide constitue un premier outil à disposition d’organisations soucieuses d’être réactives en cas de soupçons de manquements à la probité. Les commentaires et décisions à venir ne manqueront assurément pas d’enrichir cette pratique en cours de développement en France.

Article co-écrit par Marion Seranne, Charles Monnot et Yanis Saint-Julien


[1] Société employant au moins 500 salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros.

[2] Ce principe essentiel, est d’ores et déjà posé par l’article 3 du vade-mecum de l’avocat chargé d’une enquête interne, annexé au Règlement Intérieur du Barreau de Paris.