Dans Une légende russe (Grasset 2012), son dernier livre, Elisabeth Barillé fait le récit du voyage qu’elle a entrepris en mai 2010 en Russie, sur les traces de Lou Andreas-Salomé, personnage haut en couleurs – dont elle a publié une anthologie des œuvres – et qui entreprenait en 1900 un périple dans ce pays en compagnie du poète Rainer Maria Rilke. Elle fait revivre « la frondeuse dont le fougueux destin, soutenu par un égotisme salutaire, ne semble faire sens que dans le sillage de trois génies, le poète allemand, le philosophe Friedrich Nietzsche et Sigmund Freud, le psychanalyste. »
Elle est parallèlement à la recherche de ses racines, puisque son grand-père Georges Feodorovitch Sapounoff a fui Koursk en 1920 pour échapper à la fureur aveugle des bolcheviques et s’est fixé finalement à Chelles. Son texte offre des allers-retours permanents entre la « Russie nouvelle, passée du communisme au consumérisme », qu’elle n’aime pas, où elle mène une minutieuse double enquête relatée dans un style clair et sans fioritures et la Seine-et-Marne devenue le refuge de l’immigré et le berceau d’une famille de cultures mêlées où Elisabeth Barillé a grandi. Les choix de vie de l’auteure sont l’autre matière de l’ouvrage : une « intello parisienne » d’une vaste culture et d’une immense curiosité, férue de voyages, une femme qui refuse inflexiblement maternité et attachement, une passionnée d’écriture bien sûr. « La conviction que tout événement qui m’advient comporte un plus, un sens » est la sienne – c’est celle de Kundera, dans l’épigraphe -.
C’est aussi celle du lecteur au fil des pages d’un livre riche, intense et varié.
Singes (Gallimard 2004 + Folio) résulte des séjours répétés et prolongés de l’écrivaine en Inde. C’est l’histoire de Marion, qui, victorieuse de toutes ses peurs et fidèle à un serment, vient jeter dans le Gange les cendres d’une amie qui s’est donné la mort. Une Française de rencontre la chargera d’une autre mission : celle de retrouver la trace de son mari qui a quitté toutes ses attaches à la recherche de lui-même. Le roman est dense et dit avec économie les multiples facettes d’un pays-continent, les pensées – les « singes » selon les Indiens – de populations très diverses auxquelles s’ajoutent des voyageurs aux quêtes variées. Le livre est d’une belle richesse, ouvert et généreux, sans dogmatisme, ni didactisme, simplement le plaisir et l’exigence de l’écriture.
On peut revenir aux débuts littéraires d’Elisabeth Barillé qui publie à 25 ans Corps de jeune fille (Gallimard 1986 + Folio) dans lequel on ne sait ce qui séduit le plus, de l’érotisme provocateur qui fait un peu sourire aujourd’hui ou de l’affirmation vigoureuse du désir d’écrire dont chacun de ses ouvrages témoigne, comme encore ce Petit éloge du sensible (Gallimard 2008 + Folio), essai poétique qui fait autant de la femme que de l’artiste un portrait attachant.