Cass. Com., 15 septembre 2015, n°14-17.964
Au terme de l’article L. 442-6 5° du Code de commerce, le fait « de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels » engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé.
Depuis plusieurs années, cette disposition alimente un contentieux particulièrement fourni devant les juridictions commerciales. Au cœur de ce contentieux de masse, se pose irrémédiablement la question du calcul de la durée de la relation commerciale établie entre les parties, autrefois partenaires, aujourd’hui adversaires.
En effet, afin d’évaluer le caractère brutal de la rupture, le juge s’attache à dessiner les contours de la relation commerciale. Il lui appartient notamment de prendre en compte la durée de la relation de façon à apprécier si le préavis donné par la partie souhaitant rompre la relation est suffisant.
Dans un arrêt du 15 septembre 2015, la Cour de cassation a apporté des précisions quant au calcul de la durée de la relation commerciale en cas de cession d’un fonds de commerce.
En l’espèce, une société avait pris en location-gérance un fonds de commerce de négoce de boissons le 1er octobre 2005, avant de l’acquérir le 30 mars 2006. Le 14 avril 2006, elle informait la société de transport assurant l’approvisionnement en boissons de ce fonds depuis plusieurs années de sa décision de mettre un terme à leur relation, celle-ci devenant effective à l’expiration d’un délai de quatre mois.
La société de transport l’avait alors assignée sur le fondement de l’article L. 442-6 5° du Code de commerce en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie. Elle estimait que le préavis de quatre mois donné était insuffisant et se prévalait pour ce faire des relations entretenues non seulement avec la société cessionnaire mais également avec la société cédante.
Confirmant la solution retenue par la Cour d’appel[1] , la Cour de cassation fait échec à l’argumentation de la société de transport en refusant de prendre en compte dans le calcul de la durée de la relation, les faits antérieurs au 1er octobre 2005, date de la prise en location-gérance du fonds par la société cessionnaire.
La Cour souligne que si la cession du fonds de commerce transfère au cessionnaire la propriété des éléments du fonds cédé, elle ne le substitue pas de plein droit au cédant dans les relations contractuelles et commerciales entretenues avec la société de transport. Elle retient par ailleurs que le fait que le cessionnaire ait confié, durant la location-gérance puis après l’acquisition du fonds, le transport à la même société que le cédant ne permet pas d’établir son intention de poursuivre la relation initialement nouée par son prédécesseur.
Le préavis de 4 mois donné par la société cessionnaire était donc suffisant, sa relation commerciale n’ayant duré que cinq mois et demi.
Ainsi, il apparait que le fait pour un cessionnaire de traiter avec le même partenaire que le cédant ne caractérise pas nécessairement son intention de poursuivre la relation antérieure et qu’à défaut d’une manifestation d’une telle intention, la durée de cette relation antérieure ne pourra être prise en compte afin d’évaluer le caractère brutal de la rupture.
La décision de ne pas faire peser sur le cessionnaire la durée de la relation commerciale antérieure du cédant avec le transporteur semble logique compte tenu de l’impact considérable qu’a la durée des relations commerciales sur la durée de préavis retenue par la jurisprudence.
Ayant considéré que la poursuite de la relation antérieure pendant une durée de cinq mois ne suffisait pas à établir l’intention du cessionnaire de poursuivre la relation, on peut dès lors s’interroger sur les contours que doit prendre la manifestation de l’intention de poursuivre la relation antérieure. Une durée plus longue aurait-elle été suffisante pour caractériser cette intention ou faut-il qu’elle prenne la forme d’un consentement explicite ?
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[1] CA Paris, 13 février 2014, n°12/09668