Vers le consensualisme High Tech…

Soit une transaction portant sur 87 tonnes de lin, proposée par Chris Achter un fermier canadien (province de la Saskatchewan). Un acheteur prend l’initiative de signer un contrat dont il adresse une photo au fermier, par texto. Le fermier répond avec un émoji pouce levé. Le contrat n’est pas honoré. L’acheteur assigne le fermier pour violation de ses obligations contractuelles.

Le fermier prétend que l’émoji ne signifiait pas son accord, donc un échange de consentement, mais simplement le fait qu’il avait bien reçu le projet de contrat.

Le tribunal canadien donne raison à l’acheteur et condamne le fermier au paiement de 82 200 dollars canadiens, considérant que l’émoji pouce en l’air valait acceptation du contrat.

Le juge a pris soin de relever que dans le passé, Chris Achter, pour conclure des contrats, avait utilisé des termes tels que « Ça me va », « OK » ou « Yep », soit des messages aussi brefs qu’un émoji. « Ces mots étaient la confirmation du contrat et non un simple accusé de réception du contrat… Je suis convaincu, selon la balance des probabilités, que Chris a accepté le contrat comme il l’avait fait auparavant, sauf que, cette fois, il a utilisé un émoji pouce levé ». Le consensualisme High tech ne concerne pas uniquement nos cousins de Nouvelle-France et les Prairies Canadiennes. 

De quelques piliers porteurs du droit des contrats

Au commencement était la force obligatoire des conventions valides : Pacta sunt servanda ! L’article 1103 de notre Code civil (anciennement 1134 CC) dispose : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». L’article 1104 CC précise pour sa part : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».  Depuis la réforme de 2016, la bonne foi ne concerne plus uniquement l’exécution des contrats, mais aussi leur négociation et formation.

Nous savons tous qu’en droit français, le principe reste celui du consensualisme ; c’est-à-dire que, (sauf exceptions, comme les contrats réels), il n’existe pas de formalisme particulier pour manifester la cristallisation de l’échange des consentements.

L’article 1113 CC dispose : « Le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur ».

Sans rentrer dans des détails trop techniques, les débats et différends peuvent concerner :

  • L’offre de contracter (la pollicitation) qui, expresse ou tacite, doit être précise, ferme et claire (sans parler des enjeux de rétractation ou caducité).
  • L’acceptation peut également être expresse ou tacite. En principe le silence ne vaut pas acceptation ; « à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières » (article 1120 CC).
  • La rencontre de l’offre et de l’acceptation (contrats entre absents) et la réalité de l’échange des consentements, comme en l’espèce.

Considérations pratiques

  • Les praticiens savent bien qu’au-delà des principes, il y a les preuves et leur crédibilité judiciaire… « L’utile et le juste » pour reprendre la formule du Professeur Ghestin.
  • Il convient de rester très vigilant sur l’échange des consentements, concept et moment subjectifs, notamment dans un contexte prégnant de nouvelles technologies.
  • En cas de négociations ambiguës, n’hésitez pas à garder tous éléments de preuves concernant le stade précontractuel (par exemple les différentes versions des projets de contrat). Ils pourraient, en cas de besoin, éclairer la véritable intention des parties, ou encore caractériser l’existence d’un contrat d’adhésion.  
  • A l’inverse, pour couper court aux interprétations byzantines, débats jésuites sur la « lettre et l’esprit », une clause contractuelle dite « d’intégralité » permet de cantonner le contrat au seul instrumentum signé. 

Qu’il s’agisse de négociation, rédaction ou interprétation des contrats, dans le doute, ne vous abstenez pas, consultez des praticiens spécialisés. Quand c’est flou, il y a souvent un loup !   

« On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles » disait le Jurisconsulte Pothier. C’était avant les émojis !