La Cour européenne a clairement énoncé que la réglementation italienne actuelle des jeux de hasard entrave la liberté d’établissement et la libre prestation de services, piliers du Traité de Rome.
En Italie, l’organisation de jeux de hasard et la collecte de paris sont soumises à l’attribution préalable d’une concession et d’une autorisation de police. Le non-respect de ces règles est passible de sanctions pénales pouvant aller jusqu’à une peine de trois ans d’emprisonnement. Au centre des poursuites pénales se trouvent trois gérants italiens (dont M. Placanica) d’entreprises de paris liés à Stanley, inculpés pour manque d’autorisation de police. Mais selon la réglementation italienne le demandeur doit avoir la qualité de concessionnaire. Or, jusqu’en 2003, la participation aux appels d’offres pour attribuer les concessions était réservée aux structures dont les actionnaires étaient à tout moment personnellement identifiables, excluant de fait toute société cotée en bourse. Ainsi, la société de droit anglais Stanleybet, titulaire d’une licence au Royaume-Uni, a été exclue d’un appel d’offres lancé par l’organisme public italien.
Pourtant, l’arrêt Gambelli (CJCE, 6 novembre 2003) n’avait-il pas apporté un test clair, affirmant que tout monopole d’État n’était valable qu’à condition d’être la mesure la plus appropriée pour répondre à un impératif public exigeant cette restriction ? Mais c’était sans compter avec la Corte Suprema di Cassazione. Dans un arrêt postérieur à la jurisprudence Gambelli, elle avait considéré qu’il n’appartenait pas au juge communautaire de décider de la nécessité et de la proportionnalité de sanctions pénales nationales, étant en dehors de la compétence communautaire, et que la licence anglaise du bookmaker n’avait qu’un caractère territorial.
La Cour, en réponse à la question préjudicielle formulée par les juridictions pénales de Larino et Teramo, rappelle d’abord « qu’une loi qui interdit – sous peine de sanctions pénales – l’exercice d’activités dans le secteur des jeux de hasard (collecte de paris, publicité…) en l’absence de concession ou d’autorisation de police délivrées par l’État, comporte des restrictions à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre prestation de services ».
Toutefois, depuis Gambelli, nombreux sont les gouvernements, dont celui de la France qui affirment haut et fort que les restrictions (voire le monopole) dans ce secteur d’activité peuvent être justifiées par les effets néfastes qu’engendrent les activités de jeux et de paris, tels l’addiction et la dépression du joueur pathologique ou la fraude et le détournement d’argent à des fins criminelles ou frauduleuses. Ces limites ne doivent-elles pas néanmoins satisfaire aux conditions de nécessité et de proportionnalité édictées par le test Gambelli?
Conformément à ce test, les sanctions pénales constituent une restriction à la libre prestation de services, mais, nous précise la Cour, peuvent être justifiées, le cas échéant, par « les particularités d’ordre moral, réligieux ou culturel, ainsi que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l’individu et la société qui entourent les jeux et les paris ».
Le gouvernement italien a avancé cet argument en défense de son régime : sa politique d’expansion des octrois de concessions est destinée à attirer des joueurs exerçant des activités de jeux et de paris clandestins interdites vers des activités réglementées. Intéressant pour la Française des Jeux et le Pari Mutuel Urbain, bénéficiaires du monopole d’État en France, et qui souhaiteraient sans doute que la France fasse sienne cette argumentation dans le cadre de l’enquête du Commissaire McCreevy.
La Cour admet qu’un système de concessions puisse constituer un mécanisme efficace permettant de contrôler les opérateurs actifs dans ce domaine. Néanmoins, elle juge que l’exclusion totale des sociétés de capitaux des appels d’offres pour l’octroi de concessions va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visant à éviter que les opérateurs ne soient impliqués dans des activités criminelles ou frauduleuses. En effet, n’existe-t-il pas d’autres moyens pour contrôler les comptes et les activités des opérateurs tout en restreignant de manière moindre la liberté d’établissement et la libre prestation des services, comme le recueil d’informations sur les principaux actionnaires ou représentants ?
Comment le gouvernement de Romano Prodi va-t-il réagir ? Ne pourrait-on pas soutenir que l’Italie devrait organiser de nouveaux appels d’offres pour rétablir l’égalité entre les sociétés prestataires ? Les textes communautaires semblent clairs sur ce point : « un état membre ne peut appliquer une sanction pénale pour défaut d’accomplissement d’une formalité administrative qu’il refuse ou rend impossible en violation du droit communautaire ».
Bien que cet arrêt défende une plus grande égalité entre les consommateurs européens de jeux de hasard en ce qu’il confirme que le refus complet d’admettre des opérateurs étrangers d’activité de paris entrave la libre prestation des services, il laisse néanmoins une assez grande marge de manœuvre aux Etats Membres pour justifier dans quelle mesure leurs dispositifs protectionnistes concourent à la sauvegarde des intérêts public et individuel. Cette motivation a certainement été saluée par la Française des Jeux et le PMU, qui pourraient croire leurs monopoles à l’abri des critiques pendant encore quelques temps.
Début mars 2007, comme annoncé de longue date, le gouvernement français a inclus dans la loi de prévention de la délinquance des dispositions concernant les paris et les jeux. Elles imposent une obligation sur les fournisseurs d’accès Internet de mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant de signaler à leurs abonnés quels sites sont prohibés par la loi et quels sont les risques qu’ils encourent. Nous attendons le décret d’application, qui devrait préciser les modalités du dispositif informatique à mettre en place, mais dorénavant nous savons que ces fournisseurs d’accès vont encourir des peines jusqu’à un an d’emprisonnement et €75,000 d’amende.
Néanmoins, cet arrêt de la haute Cour européenne nous conforte dans l’idée que cette dernière constitue un allié de poids pour la Commission. Bruxelles vient d’ailleurs d’élargir le champ de sa procédure lancée en avril 2006 à l’encontre des régimes allemands et néerlandais et se réserve le droit d’engager prochainement des poursuites devant la Cour de Luxembourg.
En attendant, le Royaume-Uni a bien senti la manne financière que pouvait représenter ce secteur d’activité. Son gouvernement et notamment Gordon Brown (le possible futur Premier ministre) se prépare ainsi à adopter une mesure permettant aux sociétés de jeux en ligne, installées dans des pays off-shore, d’obtenir une licence britannique moyennant une taxe sur les profits fixée à un taux particulièrement bas, de l’ordre de 2 ou 3 %, tout en maintenant leur exclusion de la TVA et de l’impôt sur les sociétés britanniques.
Dans le domaine des jeux, plus rien n’est acquis et l’année 2007 apparaît propice au changement. Par exemple, aux dernières nouvelles, fin mars 2007, l’Organisation mondiale du commerce a de nouveau condamné les États-Unis pour entrave au libre commerce dans le secteur des jeux d’argent, une décision qui fait écho outre-atlantique à l’arrêt de Luxembourg… Sans oublier qu’en début de mois, la société belgo-suédoise de paris en ligne Unibet, suite à l’exclusion du départ du Paris-Nice de l’équipe cycliste qu’elle parraine – mais qui roule désormais sous les couleurs de « Canyon », fabricant de vélos – entamait une action judiciaire contre l’organisateur de la course. Ce dernier se réfugie bien sûr derrière l’illégalité de la société Unibet au regard de la loi française dans sa rédaction actuelle. Pourtant, si l’on en croit la toute nouvelle jurisprudence Placanica, le juge français ne saurait refuser de contrôler la légalité du dispositif français par rapport au droit communautaire, et donc de s’interroger sur la conformité du régime à la jurisprudence Gambelli de nécessité et de proportionnalité des restrictions.
A suivre…