O combien sont nombreux les plaideurs qui se sont présentés (trop) confiants devant un magistrat, notamment en référé, pour se voir finalement "retoquer", non pas en raison du travail du contradicteur, mais de celui du juge zélé qui s’est substitué à l’adversaire défaillant en requalifiant les faits et en appliquant aux demandes adverses le fondement juridique idoine.
En effet, il est un principe directeur du procès (article 12 du Code de procédure civile) obligeant le juge d’une part, à trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, et d’autre part, à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions.
En application de ces dispositions, la jurisprudence a notamment posé l’obligation pour le juge de rechercher la règle de droit appropriée lorsque les parties n’ont pas précisé le fondement de leurs demandes.
Il restait encore à savoir si le juge est également tenu de rechercher d’office si les faits invoqués peuvent recevoir une autre qualification que celle invoquée par les parties et d’examiner ensuite la demande sur ce fondement juridique, que les parties n’avaient pas envisagé.
La jurisprudence était disparate et l’assemblée plénière de la Cour de cassation a finalement tranché en indiquant que "si l’article 12 du NCPC oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes".
Les règles particulières tiennent de l’ordre public ou d’une loi étrangère, comme la Cour de cassation en a donné une illustration par l’application des dispositions d’ordre public de la loi du 5/01/1985 (Civ. 2, 20/01/2000, pourvoi 98-13.871).
Ainsi, en ce qui concerne le plaideur qui s’insurge du secours du magistrat à son adversaire défaillant, rien ne va changer : le juge a toujours l’obligation de requalifier les faits, mais reste libre de relever d’office – ou non – les moyens de droit qu’il estime applicables, sauf règles particulières d’ordre public.
En revanche, le plaideur qui n’a pas été secouru par le magistrat, ne pourra pas – et c’est une bonne chose – reprocher au magistrat de ne l’avoir pas substitué dans son argumentation juridique.
On peut cependant regretter ce frein (relatif certes, les juges restant libres de relever d’office les moyens de droit ) à la manifestation de la vérité juridique. Grâce aux requalifications et aux règles soulevées d’office, souvent de manière éclairée, le juge permet non de pallier aux carences des avocats (…) mais bien de mettre un frein à leur imagination, louée par Jean Giraudoux, qui fait dire à Hector, dans la Guerre de Troie n’aura pas lieu, que "Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination, jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité"