Lettre à un frère émigré en Colombie (pays des FARCs, des aztèques et grand rassemblement de médiateurs du vendredi saint)

Très cher hermano,

L’autre jour tu m’as dit que tu entendais répondre à ma lettre, j’attends donc ta missive avec impatience et t’encourage à passer à l’expression écrite.

Que pense donc quelqu’un aux antipodes, de la médiation et de la gestion des conflits ? Comment sont-ils vécus chez toi ces conflits ? Une chance ? Une opportunité de changement ? Un désastre ? Un truc qui fait partie de la vie ? En plein psychodrame planétaire autour d’Ingrid Betancourt, marqué par les échecs patents de la négociation, médiation et autres formes alternatives, tu ne peux rester passif.
Il est intéressant de comparer les « cultures » du conflit. Il y a des individus qui se disent spécialistes de la médiation interculturelle… Pour moi dés qu’il y a « l’Autre », il y a interculturalité. C’est un vaste sujet.

Je suis allée former des médiateurs au Bénin et au Burkina, pour le compte de la Chambre de Commerce. Il est vrai que la médiation n’est pas une affaire évidente. Pays de palabre, on fait confiance au « sage », à l’ancien, au chef de tribu, etc… Il a l’autorité, il invite, propose, voire ordonne. « Nous avons l’habitude d’obéir… » m’a-t-on dit. Or la médiation c’est la responsabilisation des personnes et des organisations qui choisissent elles-même la meilleure solution pour résoudre leur problème. Inhabituel encore semble-t-il.

Les grandes entreprises françaises, encore trop souvent, préfèrent dépenser des fortunes et des années en contentieux plutôt que de s’asseoir autour d’une table pour négocier avec un tiers médiateur pour les aider. Je rabâche, je sais. Mais je trouve cela très préoccupant. Je suis entrain de préparer un produit qui permettrait aux entreprises de gérer leurs conflits, mais aussi de les prévenir. C’est une approche un peu systémique et pragmatique. On pourrait ainsi anticiper les causes des conflits avant qu’ils n’apparaissent, les prévenir.

Je ne sais pas ce qu’il se passe dans ton pays d’adoption à part les gesticulations autour d’Ingrid Betancourt, mais ici on semble avoir tellement peur du conflit qu’on l’évite ou qu’on le nie totalement jusqu’à ce qu’il soit inévitable. Alors certains prennent les armes – quelles qu’elles soient- d’autres la fuite. Notre environnement économique est bien terne en ce moment. Au sein des entreprises, la peur de la précarité et du chômage pousse les employés à baisser la tête et à supporter l’insupportable. La concurrence sévère pousse aux techniques archaïques du marchandage, des pressions, des concessions sans justification. La coopération n’est pas de mise. On pense court terme. Le moyen terme parfois, le long terme très peu.

Je suis un peu amère me diras-tu. Mais quand je pense aux opportunités perdues, à l’argent investi en énergie négative, aux dégâts humains… Je suis certaine que l’on pourrait faire autrement. Pas seulement par la médiation mais aussi par la prévention et par un mode APPROPRIE de gestion du conflit (je préfère approprié à alternatif). J’ai fait faire une étude par des jeunes managers à Prague il y a quelques années, et ils avaient « inventé » un système de gestion des conflits pour une entreprise fictive… Il faudra que je te passe l’article, décoiffant. Si j’arrive à reproduire cela en France, ce sera un beau progrès tu ne trouves pas ?

J’organise déjà les grandes vacances à Maubeuge en août. Viendras-tu ?

Le printemps tarde à venir mais je vois les pousses vert tendre fleurir à ma fenêtre.

Je t’embrasse, querido hermano mio

Sylvie
sadijes@orange.fr