• « Avais-je besoin d’écrire ça? J’avais besoin d’écrire et ne pouvais rien écrire d’autre, rien d’autre que ça ». L’impérieuse nécessité à laquelle répond Delphine de Vigan [1] c’est le besoin de comprendre la vérité de cette femme atteinte d’un cancer et qui vient de se suicider, sa mère.
Lucile (la mère) fut d’abord une petite fille dont l’exceptionnelle beauté fit une enfant-vedette, la préférée de son père, rêvant pourtant de devenir invisible. Élève médiocre, épouse divorcée, elle souffrira de bouffées délirantes qui la conduiront plusieurs fois à l’internement.
De fait l’auteur conte l’histoire de toute sa famille (nombreuse) où alternent de magnifiques fulgurances, de grandes ivresses et de troubles secrets, d’autres actes désespérés en marquant les jours. La sincérité de la quête bouleverse et l’empathie chasse toute idée d’exhibitionnisme, d’autant que ce grand livre est fait aussi des affres de la création et de l’itinéraire d’une écrivaine dont les ouvrages précédents [2] – certains ont pu paraître fabriqués ou futiles – se chargent rétrospectivement de la même nécessité que ce dernier opus, très abouti.

Janet Frame [3] parle de ses propres délires, à la troisième personne. Nul doute que cette jeune femme célibataire, la trentaine, qui a quitté sa Nouvelle-Zélande natale pour un séjour en Angleterre, c’est elle-même. Elle va passer un week-end dans la famille d’un ami, « seulement pour Grace Cleave les voyages n’étaient pas choses simples. Rien n’est simple quand votre esprit va et vient entre les différentes tranches d’un monde extérieur dangereux et un monde intérieur sûr et secret. » Une « promesse de cauchemar » donc « surtout que Grace s’était changée en oiseau migrateur ». Sic, car on n’est pas dans un conte et l’auteur nous fait partager un quotidien que peuplent mille appréhensions, mille petites terreurs, mille incertitudes.
C’est la littérature qui a sauvé Janet Frame de l’hôpital psychiatrique où elle a passé huit ans de sa vie et ce roman de jeunesse ne paraîtra, selon sa volonté, qu’après sa mort. Le film de Jane Campion « Un ange à ma table » (1990) est inspiré des mémoires de l’écrivaine.

Gérard Garouste dans l’Intranquille [4] sous-titré Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou se livre avec encore moins de détours. Il échappe à la tutelle d’un père violemment antisémite en épousant une femme juive : « Il fallait dénoncer la grande manipulation religieuse et familiale…La suite est une succession de livres et de mots, ils m’ont lavé, récuré même et ils m’ont fait peindre ».

Ce maniaco-dépressif narre les délires qui l’ont fait interner plusieurs fois et il conclut « ma tête s’est ouverte, elle s’est vidée d’un noir mirage, par la peinture et ici avec les mots. »

Outre le témoignage très émouvant d’un homme en souffrance, peintre de renom, le lecteur trouvera des éclairages intéressants sur l’art contemporain et son milieu ainsi que sur la culture juive.

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[1] « Rien ne s’oppose à la nuit » JC Lattès 2011, 437 p.

[2] Cinq titres parus récemment dans des collections de poche parmi lesquels on distinguera « Jours sans faim » 125 p., « Les heures souterraines » 249 p.

[3] « Vers l’autre été » Editions Joëlle Losfeld 2011, 265 p.

[4] Vient de paraître dans Le Livre de Poche, 156 p