Privés du carnaval de mardi gras le 16 février prochain pour cause de pandémie, nous comptons bien profiter des traditionnels sept jours gras qui le précèdent. Nous avons eu beau troquer nos robes pour des tabliers, le droit de la propriété intellectuelle nous a rattrapés.
Tout a commencé lorsqu’un avocat du département IP & Technology, triste de la fermeture depuis des semaines de sa crêperie bretonne préférée, a décidé de se lancer dans la réalisation de crêpes au moyen d’une vraie « Billig » fabriquée en Bretagne par Krampouz. Après une brève recherche auprès de la base de données de l’INPI, l’avocat remarque que la société Krampouz a déposé les marques KRAMPOUZ et KRAMPOUZ BILLIG pour désigner ses crêpières alors qu’en langue bretonne, krampouz signifie « crêpe » et billig désigne la plaque circulaire en fonte sur laquelle on fait traditionnellement cuire les crêpes.
Observation un peu étonnée puisque pour être valable, une marque doit être distinctive et non descriptive. Le droit des marques permettrait-il de monopoliser le nom commun qui désigne le produit dans une langue régionale ?
Une petite étude de jurisprudence révèle que les langues régionales sont invoquées par les plaideurs de deux façons mais dans la grande majorité des cas, en vain.
Caractère distinctif / descriptif
Dans un certain nombre de décisions, la langue régionale est invoquée à l’appui d’une demande en annulation de la marque du fait de l’absence de caractère distinctif. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit en effet que ne peut constituer une marque valable une marque :
– « dépourvue de caractère distinctif » ou
– « composée exclusivement d’éléments ou d’indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation du service » ou
– « composée exclusivement d’éléments ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce » (L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle).
A notre connaissance, l’argument du caractère descriptif dans une langue locale n’a jamais été retenu pour annuler une marque car les juges soulignent que la marque est un droit de portée nationale et que sa validité s’apprécie selon le consommateur français moyen qui, en général, ne connaît pas les langues régionales. Ainsi, dans une affaire récente opposant les marques ELV UP et EVEL’UP, le titulaire de EVEL’UP avait plaidé que ce terme renvoyait à un mot de la langue bretonne signifiant « la même chose » pour traduire le fait que la nouvelle structure avait réuni deux entités existantes. La Cour d’appel de Rennes a rejeté l’argument en soulignant que « le consommateur d’attention moyenne, en l’occurrence l’éleveur susceptible d’être intéressé par ces produits et services, n’est pas forcément breton et, à supposer même qu’il le soit, ne parle pas nécessairement cette langue; en outre, le mot « EVEL’UP » n’appartient pas au vocabulaire breton communément partagé par le public non bretonnant et ce, au contraire d’autres vocables bien connus partout en France comme « kenavo » ou « armor » par exemple » (Cour d’appel de Rennes 22 octobre 2019, RG 19/01946).
La porte n’est donc pas fermée de façon hermétique puisqu’il existe des mots dans des langues régionales qui ont été intégrés à la langue française et sont compris du consommateur français moyen.
Risque de confusion
Le risque de confusion entre deux signes s’apprécie à trois niveaux, du point de vue :
- visuel : apparence visuelle et graphique des deux signes,
- phonétique : nombre de syllabes, sonorités, etc.
- et intellectuel : par exemple le mot « presto » est similaire intellectuellement au mot « subito ».
Dans certaines affaires, l’entreprise qui a déposé ou utilisé un signe proche d’une marque antérieure et qui est attaquée par voie d’opposition ou de contrefaçon, cherche à souligner la différence intellectuelle en mettant en avant la signification du mot dans une langue régionale. Cet argument se heurte à la même difficulté que celle indiquée plus haut : le consommateur français moyen ne connaît pas les langues régionales.
En revanche, l’argumentation peut être plus subtile et centrée sur la connotation du mot. Ainsi, au pays basque, la société Muxu et Macarons titulaire d’une marque européenne « MUXU » a pu se prévaloir de la langue basque pour s’opposer au dépôt d’une marque « MUSU D’ITXASSOU » en 2009. Muxu et Macarons soutenait qu’en langue basque muxu (prononcez « mouchou ») signifie « baiser » et que dans cette langue, musu est une variante de muxu. La Cour d’appel de Bordeaux lui a finalement donné satisfaction en annulant la décision de l’INPI mais en adoptant une motivation assez « sioux » :
« S’il est exact que la lettre X est d’un emploi peu fréquent en langue française », ce qui est attesté par sa valeur au Scrabble, « il n’en demeure pas moins que phonétiquement elle se rapproche de la lettre S lors de sa prononciation et que la configuration des deux mots se terminant l’un et l’autre par la lettre finale U également peu usitée évoque, même pour un consommateur moyen francophone des mots d’origine basque de structure extrêmement proche.
La volonté de s’identifier davantage à une appartenance basque de plus en plus connue et appréciée dans l’hexagone, est renforcée par l’ajout au terme Muxu de celui d’Itxassou, localité basque parfaitement identifiable.
Cette volonté de s’identifier au Pays Basque se traduit manifestement pour le signe contesté Musu d’Itxassou par une imitation non déguisée d’une marque déposée depuis 2006 qui distribue des pâtisseries dénommées macarons au-delà d’un marché strictement local en se fondant sur des références de tradition basque de qualité reconnues aux produits fabriqués dans cette région. »
Pour finalement conclure que « les formes empruntées par cette imitation sont de nature à favoriser une confusion manifeste » (Cour d’appel de Bordeaux 31 janvier 2011, RG 10/01740).
Les gourmands se réjouiront de cette décision même si la référence finale au succès de l’entreprise est contestable. En effet, dans le cadre d’une procédure d’opposition devant l’INPI, la question est de savoir si les signes tels que déposés sont similaires et la comparaison doit se faire en tenant compte des signes et des produits et services visés. L’analyse est conduite in abstracto et non in concreto. Certes, l’opposant peut faire valoir la notoriété de sa marque mais en l’occurrence, il ne l’avait pas fait devant l’INPI et ne pouvait donc plus le faire au stade du recours en annulation qui n’a pas d’effet dévolutif.
Quoiqu’il en soit, nous espérons que vous vous régalerez de galettes, de macarons ou d’autres friandises et nous vous souhaitons bon appétit ou « apetite on » pour nos amis basques !