Qu’est ce que la déchéance en droit des marques ?

La déchéance constitue une sanction à l’encontre du titulaire d’une marque, prévue par l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que ce dernier n’en a pas fait un "usage sérieux", pour les produits et services désignés dans le dépôt, pendant une période ininterrompue de 5 ans.

L’action en déchéance est ouverte à toute personne intéressée.

Cette disposition oblige ainsi les titulaires de marque à exploiter effectivement les signes qu’ils ont déposés, non seulement à titre de marque, mais également pour désigner les produits et services désignés dans le dépôt, ce qui est seul considéré comme un "usage sérieux", c’est à dire comme attestant d’un contact entre le produit ou le service désigné par la marque et la clientèle (à l’inverse, une utilisation à titre de dénomination sociale ou de nom commercial ne constituent pas un "usage sérieux" d’une marque). A défaut, les titulaires peuvent être poursuivis ou se voir opposer en défense lors d’un procès en contrefaçon, la déchéance de leurs droits, partielle ou totale, sur le signe qu’ils ont enregistré à titre de marque.

Sur ce point, le CPI précise que doit être considéré comme "un usage sérieux", faisant donc échapper le titulaire de la marque à la déchéance, "l’usage d’une marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif" (art. L.715-2 alinéa 1 et 2b du CPI).

C’est sur l’interprétation de cette dernière notion que la Cour de cassation vient d’opérer un revirement de jurisprudence important.

Position de la Cour de cassation avant le revirement

Depuis l’arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation du 16 juillet 1992 (jurisprudence "Au Lotus") les juges considéraient que lorsque qu’un titulaire déposait plusieurs marques qui ne différaient entre elles que très légèrement, l’exploitation de l’une de ces marques enregistrées, analogue à une autre marque enregistrée, ne pouvait pas valoir exploitation de cette dernière. Ainsi, même si les marques enregistrées étaient semblables, l’exploitation de l’une d’entre elles ne pouvaient faire échapper les autres à la déchéance si elles n’étaient pas exploitées, car la Cour refusait d’y voir là un cas d’ "usage d’une marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif". Au contraire, dans ces hypothèses, la Cour de cassation relevait que le fait que le titulaire dépose plusieurs marques quasi identiques, manifestait la volonté de ce dernier d’obtenir des droits distincts sur des marques qu’il considère non assimilables.

Revirement opéré par la Cour de cassation dans les 3 arrêts du 14 mars 2006

Dans ses 3 arrêts du 14 mars 2006, la Cour de cassation a assoupli sa position et opéré un revirement. Alors que, dans cette affaire, la Cour d’appel a appliqué la jurisprudence traditionnelle précédemment rappelée, la Cour de cassation a infirmé la décision et considéré que les termes de l’article L.715-5 al.1 et 2b ne distinguent pas selon que la marque est enregistrée ou non. Ils se contentent d’indiquer que la marque effectivement exploitée ne doit différer de la marque enregistrée et non exploitée que par des éléments n’en altérant pas le caractère distinctif.

Cela signifie donc :

  • Que désormais, si un titulaire de deux marques enregistrées analogues n’exploite que la marque seconde, il peut échapper à la déchéance de ses droits sur sa première marque non exploitée, dès lors que les différences entre les deux marques sont minimes et n’altèrent pas le caractère distinctif essentiel de la marque première.
  • Que l’enregistrement du signe voisin ou modifié, faisant échec à la déchéance, n’est pas nécessaire. Un simple usage suffit.