Les jugements rendus entre le 26 septembre 2018 et le 18 janvier 2019 par différents Conseils de Prud’hommes[1] et dont il a beaucoup été question ont d’abord rassuré, puis inquiété, et inquiètent encore, six parmi ceux traités ici ayant écarté l’application du barème Macron contre deux qui l’ont appliqué. Les contentieux à l’origine des jugements rendus dont il sera question ici sont de trois ordres :

  • Licenciements ;
  • Résiliations judiciaires aux torts de l’employeur ;
  • Requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée.

Certains de ces Conseils de Prud’hommes ont plus récemment confirmé leurs positions en n’appliquant pas le barème Macron[2], tandis que d’autres ont pu revenir sur l’inapplication précédemment jugée[3], le barème ayant été appliqué par le Conseil de Prud’hommes de Grenoble en dernier lieu. Il est en outre certain que de nombreux jugements rendus, moins « médiatisés », ont appliqué le barème Macron.

La sécurisation juridique en matière d’indemnisation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse que le barème Macron devait assurer semble malgré tout ébranlée, mais il convient de relativiser la portée donnée aux jugements rendus et ici traités, tant sur les débats autour de la conformité du barème Macron aux traités internationaux (1.), que sur son inapplication par les juridictions (2.)

1. Les contours de la conventionalité du barème Macron

1.1 Les fondements de la conventionalité

Les sources invoquées à l’appui de la conventionalité, comme de l’inconventionalité du barème Macron, sont toutes identiques. Il s’agit de l’article 10 de la convention OIT n° 158 et de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, tous deux portant sur la notion d’indemnisation adéquate d’un licenciement injustifié. Certains de ces jugements se prévalent de l’interprétation donnée par le Comité Européen des Droits Sociaux sur la notion « d’indemnisation adéquate », qui a considéré le plafond Finlandais de dommage-intérêts de vingt-quatre mois comme étant contraire à la Charte Sociale Européenne. Ils vont même jusqu’à se prévaloir de l’article 55 de la Constitution qui consacrent la primauté, sur la loi, des traités et accords régulièrement ratifiés et approuvés.

D’autres invoquent la décision du Conseil Constitutionnel du 20 mars 2018[4] qui a considéré que l’objectif recherché par le barème Macron, à savoir la sécurisation juridique des conséquences d’un licenciement injustifié, rendait l’article L.1235-3 du Code du travail conforme à la Constitution. Enfin, de nombreux arrêts, qu’il s’agisse de décisions de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, sont également brandis dans les motivations de certains juges prud’homaux en faveur de l’inconventionalité, ce qui n’est pas sans semer le trouble sur leur attachement au principe de séparation des pouvoirs, le « cloisonnement » des contentieux administratif et judiciaire en étant l’une de ses plus pures expressions.

En tout état de cause, les mêmes fondements ont abouti à différentes solutions, sans pour autant qu’une opinion « majoritaire » en faveur de l’inconventionalité du barème Macron ne soit dégagée.

1.2 Les débats autour de la conventionalité

Le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes du Mans considère sans ambiguïté que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail ne sont pas contraires à l’article 10 de la convention OIT n° 158, et en déduit que le barème Macron peut donc être valablement appliqué.

À l’inverse, le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Troyes écarte complètement le barème Macron et condamne le défendeur au paiement de dommages-intérêts, sans corrélation aucune avec l’ancienneté du demandeur, lui accordant neuf mois de dommages-intérêts pour presque trois années d’ancienneté en prononçant la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.

Le juge départiteur du Conseil de Prud’hommes de Caen a en revanche considéré que le barème Macron était conforme à l’article 10 de la convention OIT n° 158, mais également à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne (étant toutefois très réservé sur son applicabilité en droit interne), et l’applique à la demande de résiliation judiciaire dont il avait à connaître. Il estime toutefois qu’il n’était pas démontré que le barème Macron s’opposait à une « indemnisation adéquate » du demandeur, ce qui suggère a contrario que si une telle démonstration pouvait être faite, le barème Macron aurait été écarté.

Enfin, le Conseil de Prud’hommes de Lyon en date du 7 janvier 2019 écartait également l’application du barème Macron, non pas en se prévalant de son inconventionalité, mais simplement du fait que le contentieux datait de 2015, ce qui écartait de jure l’application du barème Macron. L’argumentation toutefois développée sur les dommages-intérêts accordés retient les mêmes fondements internationaux et constitutionnels que ceux retenus par les juges prud’homaux pour considérer conventionnel ou inconventionnel, c’est selon, le barème Macron.

La Cour de cassation aura à connaître, nous l’espérons, des suites des jugements du Mans, de Troyes et de Caen en particulier, et aura vocation à mettre un terme aux divergences d’interprétations autour de la notion « d’indemnisation adéquate », clé de voûte de la conventionalité du barème Macron. Pour les autres jugements rendus, quand bien même ils évoquaient l’inapplicabilité du barème Macron, ils ne s’en sont, dans les faits, toutefois pas véritablement écarté.

2. Les contours de l’inapplication du barème Macron

2.1 La prise en compte équitable d’une ancienneté « cumulée »

À la lecture du jugement d’Amiens du 19 décembre 2018 et du jugement de Lyon en date du 21 décembre 2018, une corrélation entre le barème Macron et les montants de dommages-intérêts accordés par ces Conseil de Prud’hommes au regard de l’ancienneté « cumulée » des demandeurs ne peut être écartée.

En effet, un salarié ayant neuf mois d’ancienneté au titre de son dernier contrat de travail à durée indéterminée, et qui en demandait la résiliation judiciaire, s’est vu accordé par le Conseil de Prud’hommes d’Amiens 1,34 mois de salaire au lieu d’un mois maximum d’après le barème Macron. Le salarié en question avait toutefois travaillé vingt-et-un mois pour la société avant de démissionner, puis être à nouveau recruté quelques semaines après dans le cadre du contrat au titre duquel il avait acquis neuf mois d’ancienneté. Au total, ce salarié avait donc travaillé plus de deux années pour son ex-employeur avant de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. D’après le barème Macron, l’ancienneté « cumulée » du salarié lui ouvrait droit à une indemnité maximale de 3,5 mois de salaire, et à une indemnité minimale de 0,5 mois de salaire. Dans cette perspective, les dommages-intérêts accordés par le Conseil de Prud’hommes d’Amiens, quand bien même il aurait prétendument écarté le barème Macron, semble s’y conformer.

Il en a été de même dans le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Lyon le 21 décembre 2018, la salariée demanderesse ayant travaillé près de 2,5 années en contrats de travail à durée déterminée successifs avant d’en demander la requalification en contrat de travail à durée indéterminée. Ayant obtenu la requalification pour son dernier contrat de travail à durée déterminée d’une durée d’une journée, les demandes relatives aux contrats antérieurs étant prescrites, elle s’est néanmoins vu accorder trois mois de salaire, à savoir moins que le montant maximal permis par le barème Macron au regard de l’ancienneté « cumulée » de cette salariée.

Dans cette perspective, même si ces deux jugements ont écarté l’application du barème Macron, Amiens sur le fondement de l’article 10 de la convention OIT n° 158, et Lyon sur le fondement de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, le montant des condamnations est, du point de vue de l’ancienneté « cumulée », conforme à ce que prévoit le barème.

2.2. La prise en compte discutable de l’indemnité pour irrégularité de procédure

Le Conseil de Prud’hommes d’Angers en date du 18 janvier 2019 a accordé au demandeur, qui avait douze ans et neuf mois d’ancienneté, douze (12) mois de dommages intérêts. En application du barème Macron, l’ancienneté du salarié lui ouvrait droit à un montant maximum de dommages-intérêts équivalent à onze mois de salaire. Le Conseil justifiait toutefois sa décision en raison d’irrégularités de procédures, et du fait que le licenciement était considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse. Le Code du travail prévoit que les irrégularités de procédures ouvrent droit à une indemnisation maximale d’un mois de salaire si le licenciement a été reconnu comme fondé sur une cause réelle et sérieuse[5]. Tel n’était certes pas le cas en l’espèce, mais nous pouvons supposer qu’en dépit des dispositions légales, le Conseil de Prud’hommes a néanmoins souhaité faire écho à cette indemnisation supplémentaire, au prétexte de l’inconventionalité du barème Macron.

Le Conseil de Prud’hommes de Grenoble a fortement motivé son jugement pour justifier l’inapplication du barème Macron, se fondant également sur les jugements rendus avant lui. Pour déterminer le montant des dommages-intérêts, il semble prendre en compte l’ancienneté « cumulée », mais également le montant de l’indemnisation pour irrégularité de procédure, là encore inapplicable. Le salarié, qui avait environ une année d’ancienneté « cumulée » et dont le contrat de travail avait été rompu sans procédure de licenciement et suite à un accident du travail, s’est vu accorder 2,36 mois de salaire au lieu de deux mois prévus par le barème Macron, le montant du dépassement restant inférieur à l’indemnisation maximale pour irrégularité de procédure.

Il ressort de l’ensemble de ces jugements qu’hormis celui rendu par le Conseil de Prud’hommes de Troyes, l’inapplication du barème Macron afin d’accorder une indemnisation supérieure à celle qu’il prévoit se traduit majoritairement, dans les faits et dans une certaine mesure, par son application. En attendant que la Cour de cassation confirme définitivement que l’article L. 1235-3 du code du travail garantit l’indemnisation adéquate d’un licenciement injustifié, soyons rassurés sur la sécurité juridique que procure le barème.

Contact : jean-sebastien.lipski@squirepb.com

[1]CPH Mans, 27 septembre 2018, n° 17/00538 ; CPH Troyes, 13 décembre 2018, n° 18/00036 ; CPH Caen, 18 décembre 2018, n° 17/00193 ; CPH Amiens, 19 décembre 2018, n° 18/01238 ; CPH Lyon, 21 décembre 2018, n° 15/01398 ; CPH Lyon, 7 janvier 2019, n° 15/01398 ; CPH Angers, 17 janvier 2019, n° 18/00046 ; CPH Grenoble, 18 janvier 2019, n° 18/00989.

[2] Conseil de Prud’hommes de Lyon, 22 janvier 2019, RG n° F 18/00458 ; Conseil de Prud’hommes d’Amiens, 24 janvier 2019, RG n° F 18/00093.

[3] Conseil de prud’hommes de Grenoble, 4 février 2019, RG n° F 18/01050.

[4] CC, 21 mars 2018, n°2018-761 DC, points 83 à 91.

[5] Article L. 1235-2 du code du travail.