Alors, que des milliers de lycéens se préparent, avec un sentiment d’angoisse mêlé de résignation, à "subir", entre autres, l’épreuve traditionnelle de philosophie pour accéder au baccalauréat, il est délicieux, car cet exercice est sans risque, de s’interroger à la lumière de l’actualité sur les vertus du mensonge et les travers de la vérité indicible. Vaste sujet, s’il en est !
Cette préoccupation récréative et de circonstance n’est pas isolée…
Dans quelques semaines, le premier dimanche d’août très exactement, des dignitaires vêtus de robes rouges et d’une cape blanche, coiffés d’une toque également rouge, et des femmes vêtues à l’identique, de rouge et de blanc, tiendront leur assemblée annuelle pour en débattre.
Que le lecteur se rassure, cette assemblée constituée au XVIIème siècle n’est pas celle de la respectable Cour de cassation, mais, plus trivialement, celle de l’Académie des Menteurs de MONCRABEAU, petit village gascon, dont les membres jurent "de travestir la vérité, toute la vérité, rien que la vérité".
Cette institution composée de hâbleurs en tous genres ne poursuit qu’un but ancestral : la sublimation du mensonge !
Cette transposition consciente des boniments pour les élever sur un plan supérieur, ne saurait avoir cours chez des avocats dignes de cette fonction qui doit conduire à un "état", une manière d’être, selon VOLTAIRE.
Et, n’en déplaise à Patrick MURRAY qui prétend avec une délicieuse et piquante outrance qu’un "avocat ferait n’importe quoi pour gagner un procès, parfois il pourrait même dire la vérité."
La vérité ? Toute la vérité … "That is the question …"
Au regard de l’actualité qui semble, ces jours-ci se focaliser sur un très grand champion (non, il ne s’agit pas de Fabien BARTHEZ) la question de la vérité et de son corollaire, le mensonge, se pose inévitablement aux incrédules et notamment à l’avocat candide.
Et cette question taraude les esprits les plus critiques, particulièrement en cas d’amnistie dont la vertu, qui est d’effacer la vérité, n’échappe à personne.
La question est fondamentale et mérite une projection professionnelle.
Dans le cours d’un procès, l’avocat doit-il "travestir" la vérité et rétablir le "mensonge" d’une condamnation qui aurait disparue par une grâce providentielle ou… présidentielle ?
Pour apporter un début de réponse à cette question cruciale, l’avocat se rappellera immédiatement, son serment. N’a-t-il pas juré d’exercer ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ?
Et la vérité, dans tout cela ? Son serment, dans la lettre, est… muet sur ce point ! La vérité ?… Celle d’antécédents judiciaires amnistiés, par exemple ?
Point de rappel possible !
Les lois d’amnistie interdisent à toute personne de rappeler, sous quelque forme que ce soit, les condamnations pénales "effacées" par l’amnistie . Cette interdiction est assortie d’une peine d’amende.
Ainsi, l’article 15 de la loi n°2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie, dispose que : "Toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée (…) est punie d’une amende de 5.000 euros". Toutefois, cette interdiction comporte, heureusement, des aménagements pour… l’avocat !
Selon la jurisprudence, cette référence au passé recomposé ne doit pas préjudicier aux droits des tiers, et ne pas faire obstacle à ce que, dans une instance civile, il puisse être fait état d’antécédents judiciaires dont la connaissance est indispensable pour éclairer en fait et en droit, la situation soumise au tribunal.
Cette régression dans le temps, pour les besoins de la cause, doit être "indispensable" d’après la jurisprudence.
Il n’en serait pas ainsi du rappel, par un avocat de la condamnation amnistiée et prononcée contre son adversaire, dès lors que, s’agissant d’un fait étranger à la cause, ce rappel ne présente aucune utilité pour la solution du litige (Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 30 juin 1970, pourvoi n° 68-14013).
L’amnistie et la vérité antérieure ?
En application des dispositions de l’article 10 de la loi n°2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie, le Président de la République dispose du pouvoir, sous certaines conditions imposées par la loi, d’"admettre, par décret, au bénéfice de l’amnistie les personnes physiques poursuivies ou condamnées pour toute infraction commise avant le 17 mai 2002".
Ces personnes physiques peuvent prétendre à un tel "bénéfice", dès lors qu’elles se sont "distinguées d’une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, sportif, scientifique ou économique".
Et si le Président de la République fait "droit" à cette demande d’amnistie, l’avocat ne pourra en tirer argument, à la barre, sauf pour être "utile" à la solution du litige. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, il pourrait être reconnu une vérité non dénuée de vraisemblance à la maxime de Patrick MURRAY.
Mais, les médecins, les artistes, les sportifs, les chercheurs ou les capitaines d’industrie, ne sont pas, au sens de la loi, les seuls susceptibles d’espérer une amnésie rédemptrice autorisée par la loi.
A la recherche d’une légitime reconnaissance, ces "Africains" qui ont eu "au cœur, une invincible ardeur" (encore l’actualité !) et qui ont porté "haut et fier, le beau drapeau de notre France entière", ont la possibilité, en cas de condamnation, d’adresser, eux aussi, une demande individuelle d’amnistie au Président de la République.
La condition est simple : Ils doivent être "i[titulaires d’une pension militaire d’invalidité ou [avoir] été victimes de blessures de guerre]i" notamment pendant le second conflit mondial. Alors, "Indigènes" ?
Non, pas, au sens de la loi fondamentale qui proclame nos valeurs absolues, nos Vérités, parmi lesquelles "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" d’après la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.
Et, à l’évidence, ce n’était pas le premier dimanche d’août !
Au-delà de ce constat concernant l’éphémère, voilà, enfin, une vérité qui se devait d’être rétablie, sauf à ce qu’elle disparaisse sous le mensonge fuyant de bons sentiments sans suite et, partant, de constater que certains hommes "distingués" sont plus libres et "plus égaux" que d’autres …
Le droit d’amnistie, conféré au Président de la République est, en effet, discrétionnaire. Cette vérité, vraie, qui peut se vérifier à la lecture de la loi , est malheureusement incontournable !