La célébration du 150e anniversaire de la création de l’Italie, le 17 mars 1861, est presque passée inaperçue, tant dans la péninsule qu’à l’étranger. De l’avis de la plupart des italiens, qu’ils soient du Nord, du centre ou du Sud, il n’y avait pas de quoi pavoiser. Nous nous trouvions le jeudi 17 mars du côté de Naples sans manifestation ni défilé de quelque importance, avec ou sans fanfare, mais les quelques drapeaux tricolores de-ci de-là, de timides rappels historiques dans la presse, pas même un bal populaire de « 14 juillet ». Seuls, quelques commerçants arboraient l’autre drapeau tricolore et des enfants en brandissaient au-dessus de leur tête sans conviction, à l’exception des tous petits qui les lançaient frénétiquement à l’instar d’un ballon. Umberto Eco s’est exprimé dans la presse. A la question posée par Le Monde « Que signifie être italien en ce 150e anniversaire de l’unité du pays ? » il répond « C’est appartenir à une nation jeune, immature comparée à de vieux pays européens comme la France, l’Espagne ou l’Angleterre. Pour moi, l’Italie c’est avant tout une langue. » Il s’agit là d’un propos quelque peu iconoclaste. De nombreux pays ont en commun une langue, à l’instar des pays d’Amérique du Sud et des nombreux pays dans les cinq continents qui ont adopté l’anglais comme langue dominante. Interrogé sur Berlusconi, Umberto Eco déclarait que celui-ci avait « suffisamment d’argent pour cimenter l’ensemble. Mais le jour où il disparaitra, la droite s’entretuera comme la gauche. Je vous le dit, le fratricide est le grand sport italien. Mille ans d’unité romaine nous ont certainement épuisés. Il nous en faudra peut être deux mille pour reprendre notre souffle… Je crois aussi que nous nous entredéchirons parce que nous n’avons jamais eu d’ennemi intime. » Si vous voulez en savoir plus, reportez-vous au Monde Magazine du 18 mars 2011 qui a reproduit cette interview d’Umberto Eco. Mais voilà, quel est donc la raison de ce sentiment d’inachevé ? Pourquoi les italiens ne sont pas, dans l’ensemble, patriotes, sauf dans les stades de foot et les circuits de Formule 1 ?

Il semble que l’Allemagne, qui est de dix ans la cadette de l’Italie (création du Grand Reich le 18 janvier 1871 à Versailles dans la Galerie des Glaces), ait réussi à créer un sentiment et une unité nationale. Pourquoi ?

Les deux pays ont des points communs. Il ont été créés tardivement, l’un à l’initiative du roi de Prusse et de son chancelier de fer, le Prince de Bismarck, qui a profité des frasques et de l’incohérence de Napoléon III pour imposer l’unité de l’Allemagne à une foultitude de princes, ducs, rois, évêques, archevêques, l’autre par une triade formée de Garibaldi, Cavour, Mazzini et quelques autres fanatiques. Le résultat est le même, c’est Emmanuel II, roi du Piémont, qui a porté la couronne royale à partir de mars 1861 avec établissement de sa capitale à Turin. Ce n’est que quelques années plus tard, après la mort de Cavour et la reddition du Pape, que Rome est devenue la capitale, trop au sud pour les nordistes. Il existe bien d’autres similitudes comme l’existence de nombreux dialectes et parlers locaux, le passage à un régime autoritaire, ce qui est un euphémisme s’agissant du régime Nazi et du fascisme italien, d’une guerre à outrance et l’occupation de pays voisins comme la Grèce, la Tunisie ou la Lybie, pour ce qui est de l’Italie. Il y a aussi les mouvements violents des années soixante dix, les brigades rouges au-delà des Alpes et la Bande à Bader dans la plaine du Rhin.

L’Italie comme l’Allemagne sont sorties affaiblies de la deuxième guerre mondiale, ayant du rendre toutes leurs annexions, la royauté a été abolie au profit d’une république en Italie suite à un referendum en 1946 et l’Allemagne, qui avait déjà renoncé à l’empire à la fin de la première guerre mondiale, n’a pas renoué en 1946 avec l’empire prussien. Le Stamtich germanique est le terreau de l’unité…

Faut-il chercher la cause principale dans la constitution et l’organisation des régions ? D’aucuns pensent que ce qui aura manqué à l’Italie, c’est le modèle fédérale allemand qui a permis aux Länder de se développer harmonieusement dans la République Fédérale d’Allemagne. Alors que l’Italie s’est dotée d’un régime parlementaire bancal, où seules quelques régions éloignées du centre ont gagné un statut d’autonomie relative, comme la Sicile, la Sardaigne, la région autonome du Val d’Aoste et le Trentin Haut-Adige amputé de l’Autriche en 1945-46.

Cette explication est-elle trop simpliste ? Faut-il chercher d’autres causes comme une trop grande différence de développement entre le Sud et le Nord ? Mais que dire des bavarois qui ont un passé ancien de monarchie à part entière, mais ont fini par accepter le joug des prussiens, peut-être parce que leur roi, Louis II de Bavière, s’est désintéressé des affaires publiques et ne s’est pas opposé à ce que son armée rejoigne celle de la Prusse lors de l’invasion de la France (batailles de Wissembourg, Woerth et la fameuse charge des cuirassés de Reichshoffen le 6 août 1870). Ces combats épiques où se sont distingués nos généraux, comme Abel Douai, ont ouvert le passage vers Sedan. Entre frères d’armes, il était plus facile d’accepter la création d’un État unitaire que Napoléon I avait en son temps créé en Allemagne du Sud, et avant lui Charlemagne et les empereurs du Saint Empire romano-germanique qui se sont succédés jusqu’à la Révolution.

Les italiens ont connu une unité remarquable pendant près de 10 siècles sous l’empire romain. Mais plus rien depuis le 4 septembre 476 (deux jours après la chute de Sedan), date à laquelle on situe la chute de l’empire romain. Pendant près de 14 siècles, l’Italie a été le terrain de chasse de prédilection des puissances étrangères, qu’il s’agisse des byzantins, des germains de tout poil, plus tard les Habsbourg d’Autriche, les français, les espagnols, la maison de Savoie, les différentes branches des bourbons et d’autres entités éphémères, sans oublier le Pape, qui à lui seul possédait près d’un quart de l’Italie, le roi de Naples, la maison d’Anjou…

Malgré un climat que les allemands envient aux italiens, ses presque 5000 km de côtes, sa richesse artistique, son patrimoine et la beauté des villes de l’Italie du Nord et du Centre, la qualité de ses vins et de ses huiles d’olive, les populations qui ont été unifiées artificiellement en 1861 avaient peu en commun et ne parlaient pas la même langue. Certes la nouvelle Italie a su rapprocher les populations progressivement par une langue unique, le Toscan de Dante (comme l’Allemagne a adopté la langue de Luther). A la différence près que le Toscan de Dante, dans la Divine Comédie, est similaire à l’italien d’aujourd’hui alors que l’allemand de Luther a évolué passablement. Les parlers locaux et dialectes sont toujours forts dans la botte et un milanais ne comprend pas quand un sarde ou un sicilien, voire un habitant des Abruzzes ou de la Pouille ou les Pouilles, comme disent certains, lui cause.

Ce qui a manqué à l’Italie, ce sont des institutions politiques modernes et un apprentissage de la démocratie. N’oublions pas que Mussolini a régné de 1922 à 1943, ce qui est le double du record d’Hitler, qui avait pourtant annoncé un Reich de 1000 ans, il n’aura donc satisfait son ambition qu’à hauteur de 1%. Il n’est pas certain que la Constitution de l’Allemagne fédérale de 1949 ait pu être exportée en Italie, l’écart de développement entre le Sud et le Nord étant colossale. Ce qui est plus remarquable, c’est l’absence de sentiment d’appartenance à une nation italienne. Il leur faudrait un Besson ou Copé…

Dans différentes parties du monde, nous sommes les témoins aujourd’hui de nouvelles séparations entre populations et régions de pays qui un jour ont été unifiés artificiellement après la première ou la seconde guerre mondiale. Il en était ainsi dans les années 80 et 90 des Balkans, lorsque l’ancienne Confédération yougoslave a éclatée en 7 ou 8 pays (Serbie Croatie, Monténégro, Slovénie…), de la Tchécoslovaquie qui s’est scindée en 1993 et de l’URSS. En même temps, l’Allemagne était réunifiée car il s’agissait d’un même « peuple » parlant la même langue et ayant les mêmes aptitudes au travail et développement économique et Hong Kong rattaché à la Chine. Des exemples récents, comme la partition probable de la Lybie, de la Côte d’Ivoire, de la Belgique et du Soudan, montrent que les populations différentes, après parfois plus d’un siècle, ne se sentent pas soudées ou appartenant à une même Nation. Nous laisserons à Marine le Pen, Monsieur Guéand et le Président Sarkozy le privilège de parler de l’identité nationale, de l’immigration et de la laïcité.

Ce que l’Italie n’aura pas réussi en 150 ans, pourra-t-elle le faire au 21e siècle ? A la différence de certaines régions ou de certains pays où s’ajoutaient à des différences ethniques, des différences religieuses, les peuples de l’Italie d’aujourd’hui sont majoritairement catholiques et sont des européens de la première heure. Faut-il rappeler que l’Italie est un des 6 signataires du traité de Rome, un membre fondateur de l’Europe et qu’Alcide de Gapseri compte parmi les pères de l’Europe.
Dans l’avenir immédiat, les frasques du buffone et l’extrémisme du parti populiste de la ligue du Nord d’Umberto Bossi ne sont pas favorables à une « réunification » entre le Mezzogiorno et le Nord. Peut-être qu’en raison de l’âge du premier et de ses indélicatesses avec la justice de son pays (ouverture du procès le 28 mars 2011), le Président du Conseil étant présent, (alors que l’ex-Président préféré des français, ayant quitté l’Élysée depuis quatre ans, n’a toujours pas été jugé en raison d’une QPC), une lueur d’espoir d’évolution des mœurs politiques gangrénés par la mafia se profile au levant.

Dans une Europe plus forte, qui a démontré récemment qu’elle était capable de solidarité vis-à-vis de ses frères helléniques, amis irlandais et portugais, avec un développement touristique maîtrisé, l’Italie du Sud sera plus sollicitée par les tours operators. En cette année 2011, la fermeture progressive de l’Afrique du Nord et d’un certain nombre d’autres pays d’Afrique et du Moyen Orient laisse moins de choix aux amateurs nordistes de soleil, notamment pour ceux qui ne sont pas prêts à se déplacer aux antipodes pour de courtes vacances. Les pays du Sud de la vieille Europe reprennent du poil de la bête et leurs plages seront davantage sollicitées, surtout celles peu exploitées du Sud de l’Italie, sur la façade adriatique. Les nordistes qui se sont frottés depuis des siècles aux populations germaniques ne finiront-ils pas par accepter leurs « frères » du Sud ? Ce n’est pas l’avis d’Umberto Eco.

Finissons par une note modérément optimiste en espérant que le Pape, dans son Vatican réduit à 0,44 km2 pour 900 habitants, saura appuyer l’unité. Faudra-t-il attendre que le prochain Pape, ne soit plus ni Allemand, ni polonais, mais redevienne italien, comme le veut la coutume ?
Il reste beaucoup à dire sur un pays qui compte plus de 3000 ans d’histoire et reste pour la qualité de la vie, en ce compris ses vins, ses produits et ses villes et sites naturels, le concurrent direct de la France. Existe-il deux autres pays au monde où la douceur de vie est aussi parfaite mais où les populations sont critiques, moroses, déprimés, aigris… ? Veillons à ce que la France à la sortie des élections de 2012 ne singe pas l’Italie.

PS : La médiation a du succès en Italie. Un décret récent impose la médiation avant tout procès dans les litiges commerciaux et civils depuis le 21 mars. Les avocats se sont mis en grève. Des protestations et des pétitions à l’initiative des avocats grévistes circulent dans toute l’Italie, pour une fois unifiée. Cette hostilité à l’égard de la médiation est difficile à comprendre. Est-ce à dire que les avocats ont peur pour leur gagne pain ?