Dany Laferrière, qui présentait en février à Montréal son dernier livre, le vingtième : Journal d’un écrivain en pyjama[1], sorti tout récemment à Paris, revendique l’autobiographie comme la matière de son œuvre. Ses trois ouvrages précédents donnent une idée suffisamment éloquente du bien-fondé de sa démarche et d’abord L’énigme du retour.[2]

C’est en 1976 que le jeune homme de 23 ans est arrivé à Montréal, fuyant la dictature sanguinaire de François Duvalier, papa Doc, et les assassinats politiques perpétrés par les miliciens à sa solde, les sinistres tontons macoutes. Trente-trois ans plus tard il fait un bref séjour à New-York où son père s’était exilé alors que lui n’avait que 5 ans. L’homme vient de mourir après « avoir passé plus de la moitié de sa vie hors de sa terre, de sa langue, comme de sa femme. » Dany Laferrière rejoint ensuite Haïti où il retrouve sa mère et son passé. Dans le livre alternent vers libres  et paragraphes, il mêle souvenirs d’enfance et évocation de la vie nouvelle au Canada. Cette présentation originale s’accorde aux impressions multiples que l’auteur confie et au télescopage chronologique qu’elles occasionnent. Il y a là un souffle au rythme duquel le lecteur respire.

On retrouve le même dispositif dans Chronique de la dérive douce[3], exclusivement consacré à l’arrivée du jeune émigré à Montréal : « Je veux tout : les livres, le vin, les femmes, la musique ». Il aura tout, dès lors qu’un travail dans une tannerie l’aura tiré d’une existence de clochard, sans pour autant que s’effacent les pensées nostalgiques qui le ramènent vers une terre et des êtres qu’il s’est vu contraint de quitter.

Tout bouge autour de moi [4] raconte le tremblement de terre terriblement meurtrier et massivement destructeur du 12 janvier 2010 dont chacun se souvient et que Dany Laferrière a vécu au moment où un festival littéraire l’avait ramené dans son île. Catastrophe majeure qui s’abat sur « une population exténuée qui a tout connu durant ce dernier demi-siècle : les dictatures héréditaires, les coups d’État militaires, les cyclones à répétition, les inondations dévastatrices et les kidnappings à l’aveuglette. » Ni pathos, ni apitoiement mais un hommage à la dignité d’un peuple de culture.

Le meilleur de l’œuvre est là, dans la peinture lyrique, sensible et empathique, d’humains qu’il a dû abandonner pour sauver sa vie, d’une terre brûlante et ingrate qu’il a échangée contre une patrie de glace et de neige et dans la personnalité d’un auteur sensuel et ardent, grand lecteur, ami d’une légion de peintres, de poètes, d’écrivains, d’éditeurs qui sont aussi la voix du Tiers-Monde.


[1] Grasset 2013 300 p. [2] Grasset 2009 300 p. + Le Livre de Poche [3] Grasset 2012 220 p. + Le Livre de Poche [4] Grasset 2011 180 p. + Le Livre de Poche