La particularité tant contestée du CNE : une (trop ?) grande liberté de rupture accordée tant à l’employeur qu’au salarié (il ne faut tout de même pas l’oublier), durant les deux premières années suivant la conclusion du contrat de travail.

Un délai jugé excessif selon la Cour d’appel de Paris, notamment au regard des droits fondamentaux du salarié.

Pour mémoire : le CNE instaure pour une période de 2 ans dite de « consolidation », un régime dérogatoire au droit du licenciement, où la rupture du contrat est, avouons-le, plus facile que de coutume, en ce sens que l’employeur n’a à justifier ni d’une cause réelle et sérieuse, ni à mettre en œuvre une procédure contradictoire.

Le CNE ayant déjà fait l’objet d’un quadrillage méticuleux dans les numéros précédents , nous nous contenterons de relater le récent rebondissement. Mais s’il nous paraît inutile de revenir sur les mécanismes du CNE, un bref rappel de l’épopée de ce contrat si particulier et tant critiqué s’impose.

Le 2 août 2005, naissait le CNE, par voie d’ordonnance, à l’ombre d’un gouvernement farouchement déterminée à lutter contre le chômage par le nouveau concept tendance de « flexisécurité ».

Mesure phare du gouvernement Villepin, dès sa naissance, ce contrat n’a eu de cesse d’être remis en cause. D’ailleurs, son jumeau, le CPE, a fait l’objet d’un douloureux avortement forcé sous la vindicte populaire et estudiantine.

Pourtant présenté comme un levier à l’embauche, ses détracteurs lui reprochaient (entre outre) de méconnaître les droits fondamentaux des salariés et plus particulièrement l’article 4 de la convention de l’OIT n° 158, selon lequel :

« un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ».

C’est donc étape par étape (ou plutôt juridiction par juridiction) et progressivement que le CNE a tenté de gagner en légitimité.

D’abord devant le Conseil constitutionnel, puis devant le Conseil d’état, qui a notamment estimé dans une décision en date du 19 octobre 2005 que le CNE n’était pas contraire aux dispositions de la convention de l’OIT, dès lors que celle-ci a prévu la possibilité « d’exclure certains travailleurs du champ d’application de tout ou partie des dispositions de cette convention, notamment ceux n’ayant pas la période d’ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d’avance et qu’elle soit raisonnable ». Interpellée sur la licéité d’une telle période de consolidation de deux ans, la plus haute juridiction administrative considère « qu’elle peut être regardée comme raisonnable ».

L’ordonnance instituant le CNE n’a donc pas été remise en cause par les juridictions administratives.

Mais, si la création du CNE n’a pu être paralysée, en pratique, les effets escomptés de celui-ci ont pu être déjoués par la plume du juge judiciaire, qui a notamment compétence pour requalifier un CNE en contrat de travail à durée indéterminée de droit commun (CDI).
C’est ainsi que le Conseil de prud’hommes de Longjumeau était saisi d’une demande de requalification d’un CNE en CDI.

L’intéressée avait été embauchée en qualité de secrétaire au service d’un mandataire judiciaire par contrat de travail à durée déterminée de 6 mois (renouvelable par tacite reconduction), en raison d’une surcharge temporaire de travail dans l’entreprise, le contrat comportait en outre une période d’essai d’un mois, renouvelable…

Avant l’expiration du terme, les parties signent un CNE, prenant effet le 1er juillet 2006 que l’employeur rompt dès le 27 janvier avec un préavis d’un mois.

Dès lors, invoquant l’illégalité du CNE au regard du droit international, la salariée diligentait une action en requalification de son contrat de travail.

Contre toute attente, le conseil de prud’hommes de Longjumeau affirme qu’il « est compétent pour apprécier la conformité de l’ordonnance du 2 août 2005 à la convention n° 158 de l’OIT ». Une audace, rappelons-le, que le Conseil d’état ne s’était pas permis. Puis, sans sourciller procède à une minutieuse analyse pour conclure au caractère déraisonnable de la période de consolidation, dans un attendu de principe qui a fait l’objet de toute les attentions :

« Que la durée maximale nécessaire à l’appréciation des compétences du salarié est fixée par la plupart des accords collectifs entre un et six mois, selon le poste occupé ;
qu’une durée de deux ans pour des contrats exécutés en France, quel que soit le poste occupé, est ainsi déraisonnable au regard du droit et des traditions tant internes que comparés »

et, a en conséquence, requalifié le CNE en CDI.

Appel est interjeté de ce jugement devant la Cour d’appel de Paris.

Aussitôt, le préfet de l’Essonne conteste la compétence de la juridiction saisie, considérant que l’ordonnance du 2 août 2005, n’ayant pas été ratifiée par la loi, avait de ce fait conservée le caractère d’un acte administratif, dont la légalité ne pouvait être examinée que par la juridiction administrative.

Après examen d’un tel déclinatoire de compétence, la Cour d’appel de Paris s’est déclarée compétente.

Obstiné, le préfet de l’Essonne a saisi le Tribunal des conflits, qui a, le 19 mars 2007 définitivement tranché en ces termes :

« En prévoyant les mesures de financement de l’allocation forfaitaire allouée par l’ordonnance du 2 août 2005 relative au CNE aux travailleurs titulaires d’un tel contrat, les lois du 30 décembre 2005 et du 23 mars 2006 ont eu pour effet de ratifier implicitement l’article 3 de ladite ordonnance, lequel n’est pas divisible de l’ensemble des autres dispositions de cette dernière. Cette ordonnance n’ayant plus dès lors valeur réglementaire, les juridictions de l’ordre judiciaire ont compétence pour en apprécier la compatibilité avec la convention n° 158 de l’OIT ».

A la suite de quoi, le 6 juillet dernier, la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision du conseil de prud’hommes de Longjumeau en jugeant le CNE contraire à la convention n° 158 de l’OIT, estimant, elle aussi, le délai de 2 ans durant lequel un salarié peut être licencié sans aucune motivation déraisonnable.

Il s’agit là d’un nouveau revers de fortune pour le CNE, qui avait déjà était retoqué une première fois par les magistrats bordelais. En effet, dans un arrêt, passé presque inaperçu, rendu le 18 juin 2007, la Cour d’appel de Bordeaux avait, estimant qu’il est « intolérable pour un salarié ayant travaillé deux années dans une entreprise de se voir licencier sans motif », jugé le licenciement d’un salarié employé en CNE « dépourvu de causes réelle et sérieuse », éludant de ce fait l’essence même de ce contrat.

Au vu de ces arrêts, il convient de mettre en garde les entreprises (nombreuses) ayant déjà conclu des CNE, sur les risques de condamnations en cas de rupture, sans la moindre justification, de ces contrats au cours de la période de consolidation.

Afin de limiter les risques de condamnation, nous recommandons désormais aux entreprises de respecter le principe du contradictoire, en assurant au salarié, au minimum le droit de connaître les raisons de la rupture de son contrat de travail et au maximum par le respect de la procédure de licenciement de droit commun (convocation à l’entretien préalable de licenciement et notification de la rupture du CNE par lettre recommandée avec accusé de réception).