Il est des principes qui révèlent l’existence d’un droit commun international. Les arbitres reconnaissent ainsi une valeur au principe, inspiré du droit français, de l’exception d‘inexécution. A l’inverse, en matière procédurale, les juges français viennent de valider le principe connu par les juristes de droit anglo-américain sous l’appellation d’estoppel, lequel interdit à toute partie à un litige « de se contredire au détriment d’autrui » (B. FAUVARQUE – COSSON, L’estoppel du droit anglais, in L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, Economica 2001, dir. M. BEHAR-TOUCHAIS, p. 3 s) .
Ce principe, fortement inspiré par les obligations procédurales de loyauté et de bonne foi, tend à la « moralisation des comportements processuels » (H. MUIR-WATT, Pour l’accueil de l’estoppel en droit privé français, in Mélanges Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 303) . En d’autres termes, il s’agit d’un instrument permettant au juge de tempérer les effets d’un comportement trop habile d’une partie ou, plus exactement puisque l’habileté n’est pas interdite, confinant à la déloyauté. L’estoppel est d’ailleurs reconnu comme un principe général du droit du commerce international au travers des principes Unidroit (Article 1.8 des principes UNIDROIT) , même si la force juridique de ces principes est encore discutée par certains auteurs.
C’est donc tout l’intérêt de l’arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 6 mai 2009 puisqu’il se réfère expressément à ce principe d’estoppel sans utiliser, comme par le passé, une périphrase. La haute juridiction reconnaît ainsi une autorité de chose plaidée plus franche que ce qu’elle faisait auparavant.
Ses premiers arrêts inspirés de l’estoppel reconnaissaient simplement que « le demandeur n’est pas recevable à soutenir devant la Cour de cassation un moyen incompatible avec la position qu’il avait adoptée devant les juges du fond » (Cass. civ. 2e, 8 avril 1999, Gaz. Pal, Rec. 2000, somm. p. 2558) . Un autre arrêt consacrait le principe de l’estoppel by representation comme cause d’irrecevabilité de la demande en 2005 (Cass. 1ère civ. 6 juillet 2005, Tribunal franco-iranien, n°01-15.912, D. 2005, p. 2174) avant que l’Assemblée plénière ne le consacre clairement le 27 févr. 2009 (JCP 2009, G, I. 142, n° 7, note Y.-M. Serinet) .
En citant le terme d’estoppel, le juge français admet ce principe comme un élément à part entière du principe de « loyauté procédurale » auquel sont soumises les parties à l’arbitrage et qu’il appartient au juge de l’annulation de la sentence, saisi d’une demande d’exequatur, de faire respecter.
Sur le plan des effets pratiques, l’arrêt du 6 mai 2009 a également l’intérêt d’être rendu en matière de procédure collective, matière délicate à manier en arbitrage en raison des questions à se poser sur la matière arbitrable (notamment loi de police et ordre public).
Les faits étaient simples. En 2003, après qu’une procédure d’arbitrage ait été initiée par un acheteur égyptien, la venderesse française est placée en redressement puis en liquidation judiciaire, avant que la sentence ne soit rendue. La sentence est rendue au cours de la liquidation judiciaire et condamne la société en liquidation à indemniser son client égyptien. Une ordonnance d’exequatur est alors prononcée contre laquelle le liquidateur interjette appel.
Le liquidateur est alors rattrapé par l’estoppel. En effet, « la cour d’appel a qualifié d’estoppel l’attitude procédurale du liquidateur », privant ce dernier de la faculté de faire appel. Les juges ont voulu sanctionner un comportement de particulière mauvaise foi du liquidateur, qui prétendait ne pas avoir été valablement informé des différentes étapes de la procédure arbitrale, au motif que c’est la société dont il est l’associé qui était destinataire des courriers liés à cette procédure et non lui à titre personnel (cette personne physique avait été désignée comme liquidateur en qualité d’associé de la société partie à l’arbitrage).
Au vu des éléments de fait la Cour d’appel a estimé que le liquidateur avait en réalité été personnellement informé de la procédure arbitrale, même s’il n’était pas individuellement destinataire des courriers. Il se voit donc reprocher « de s’être volontairement abstenu de participer à la procédure » et d’avoir « agi sciemment, par collusion frauduleuse et dans le but de se réserver un moyen de recours contre la sentence » lié à une irrégularité de procédure (l’absence de mise en cause personnelle du liquidateur par le tribunal arbitral). Dans cette affaire l’estoppel permet au juge de purger de ses vices une irrégularité de procédure.
Mais l’estoppel n’a pas pour autant sauvé les arbitres ayant commis une autre erreur procédurale plus lourde en ne respectant pas la règle de la suspension des poursuites individuelles.
La créance du demandeur à l’arbitrage était antérieure au jugement d’ouverture puisqu’il s’agissait d’une demande en matière de responsabilité civile (pour laquelle la sentence a un effet déclaratif et non constitutif). S’appliquaient donc l’article L. 622-21, qui pose le principe de la suspension des poursuites individuelles, et l’article L. 622-22, selon lequel les instances (y compris arbitrales) en cours au jugement d’ouverture sont « interrompues jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit … [les organes de la procédure] dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation de la créance et à la fixation de son montant ».
L’arbitre était allé bien au-delà en ordonnant le paiement de dommages-intérêts. Or, la suspension des poursuites individuelles s’imposait à lui, en tant que règle essentielle du droit des entreprises en difficulté, et il ne l’a pas respectée. La sanction tombe donc presque automatiquement, sur la base du contrôle du respect de l’ordre public par le juge de l’exequatur, la Cour cassation ayant estimé que cette violation était manifeste (bien que la motivation ne soit pas des plus limpides).
On le comprend, l’estoppel ne fait pas tout. S’il permet au juge du contrôle de la sentence de redresser une mauvaise foi procédurale de la part d’un plaideur un peu trop audacieux, il ne saurait sauver l’arbitre ayant outrepassé une règle d’ordre public. Audace et équilibre en quelque sorte.