British Airways reprochait (1) d’une part à la SNCF et à France Rail Publicité d’avoir refusé d’afficher les publicités de British Airways sur la route Paris-Londres (notamment à la Gare du Nord) et (2) d’autre part, une prédation tarifaire visant à évincer British Airways du marché du transport de voyageurs sur la route Paris-Londres, prédation qui aurait été facilitée par les subventions de la SNCF, en situation de monopole sur le marché ferroviaire français.
British Airways avait assorti sa plainte de demandes de mesures conservatoires. Cette demande ainsi que le premier grief reproché aux parties par British Airways ont été rejetés par le Conseil dans une décision 05-D-11 du 16 mars 2005. En revanche, le Conseil avait décidé à l’époque d’examiner le grief de prédation au fond.
Par sa décision du 23 novembre dernier, le Conseil a confirmé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure, les faits constatés ne constituant pas des pratiques anticoncurrentielles.
Le Conseil constate bien qu’Eurostar jouit d’une position dominante sur le marché du transport de voyageurs sur la route Paris-Londres, ce dont Bristish Airways s’est d’ailleurs félicité. En revanche, le Conseil rejette l’argument selon lequel Eurostar aurait mis en œuvre une politique de prix prédateurs.
Le Conseil a notamment vérifié :
- que le nombre de rames mises en service excédait (ou non) ce qui serait nécessaire à une couverture optimale des charges fixes liées à l’utilisation du tunnel et de l’infrastructure ferroviaire sur le territoire britannique ; et
- s’il existait un lien entre la mise à disposition par Eurostar de ses capacités, les tarifs offerts sur la route Paris-Londres et une éventuelle compensation des pertes d’exploitation par la SNCF aux moyens de recettes dégagées par des activités sous monopole.
Le Conseil réfute un à un les arguments de la saisissante pour en conclure qu’aucun élément du dossier ne permet d’établir l’existence d’une véritable stratégie d’éviction des compagnies aériennes de la route Paris-Londres. Au contraire, souligne le Conseil, l’essentiel du dossier plaide en faveur de la rationalité de la politique commerciale d’Eurostar.
Sur la base de ces conclusions, le rapporteur du Conseil avait également et logiquement proposé de ne pas donner suite au grief selon lequel les pratiques alléguées de prédation avaient été permises grâce aux subventions croisées de la SNCF.
Face aux contestations de British Airways, le Conseil s’est contenté de rappeler (et de citer) sa décision 00-D-50 du 5 mars 2001 relative à des pratiques mises en œuvre par la Française des Jeux, dans laquelle le Conseil a posé le cadre d’analyse des subventions croisées.
« Considérant qu’il est licite, pour une entreprise publique qui dispose d’une position dominante sur un marché en vertu d’un monopole légal, d’entrer sur un ou des marchés concurrentiels, à condition qu’elle n’abuse pas de sa position dominante pour restreindre ou tenter de restreindre l’accès au marché pour ses concurrents en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites ; qu’ainsi, une entreprise publique disposant d’un monopole légal, qui utilise les ressources de son activité monopolistique pour subventionner une nouvelle activité, ne méconnaît pas, de ce seul fait, les dispositions de l’article L.420-2 du code de commerce ;
Considérant, en revanche, qu’est susceptible de constituer un abus le fait, pour une entreprise disposant d’un monopole légal, c’est-à-dire un monopole dont l’acquisition n’a supposé aucune dépense et est insusceptible d’être contesté, d’utiliser tout ou partie de l’excédent des ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel, lorsque la subvention est utilisée pour pratiquer des prix prédateurs ou lorsqu’elle a conditionné une pratique commerciale qui, sans être prédatrice, a entraîné une pertubation durable du marché qui n’aurait pas eu lieu sans elle ».
En l’espèce, le Conseil a démontré que les pertes subies par les compagnies ferroviaires du fait de l’exploitation d’Eurostar s’inscrivaient dans le cadre d’une politique commerciale rationnelle et ne pouvaient donc être regardées comme attestant l’existence d’une stratégie prédatrice. D’autre part, le Conseil souligne que « l’arrivée d’Eurostar sur la route Paris-Londres a entraîné une forte expansion du marché et que l’élargissement de la gamme des tarifs pratiqués a ouvert ce voyage à un grand nombre de consommateurs pour lesquels les prix proposés excédaient auparavant leurs facultés. Au surplus, à l’arrivée de la nouvelle technologie de transport par train à grande vitesse sur Paris-Londres sont associés des avantages. A durée de trajet et confort équivalents, la liaison centre ville à centre ville en train génère un gain de temps compte tenu des procédures de contrôle des passagers aériens et de l’éloignement des aéroports du centre des villes » (point 148 de la décision).
Tout ceci s’est donc fait au bénéfice du consommateur et des utilisateurs. Il ne saurait donc y avoir lieu de poursuivre ces pratiques.