En autorisant le 30 janvier dernier l’opération de concentration INEOS/Kerling (Affaire COMP/M.4734), la Commission européenne a, en réalité, pris deux décisions. Elle a tout d’abord autorisé le rachat par le troisième groupe chimique mondial de la division polymères du groupe norvégien Norsk Hydro suivant accord signé entre les parties le 21 mai dernier, sous condition (notamment) de l’autorisation des autorités de la concurrence.
Mais la Commission a également décidé de clore une enquête qu’elle avait formellement ouverte le 12 décembre dernier, pour violation alléguée de l’Article 7.1 du règlement 139/2004 et de l’Article 81 du Traité CE.
La première de ces dispositions interdit aux parties à une opération de concentration soumise au contrôle de la Commission de réaliser l’opération avant l’autorisation de cette dernière (« gun-jumping »). La deuxième, plus connue peut-être de nos lecteurs, interdit les accords ou pratiques pouvant fausser le jeu de la concurrence.
En l’espèce, les parties étaient soupçonnées d’avoir procédé de manière prématurée à l’intégration de leurs activités et d’avoir échangé des informations sur leurs clients et fournisseurs, ce qui leur aurait permis de coordonner leurs comportements sur le marché, alors même que les règles de concurrence leur imposaient de se comporter comme deux entreprises autonomes, et en l’espèce, concurrentes.
Si ces faits avaient été avérés, et si la Commission en avait obtenu la preuve, ils auraient pu aboutir sur la 1ère décision de sanction pour « gun-jumping » en Europe (les amendes pouvant atteindre 10% du CA mondial des entreprises concernées en cas de violation avérée).
En effet, contrairement aux Etats-Unis où une pratique décisionnelle semble s’être développée au sein du Department of Justice, la Commission n’a pas encore eu l’occasion de formellement sanctionner des entreprises sur ce fondement. Elle avait certes, en 1996, mis les sociétés Kirch et Bertelsmann en demeure de cesser la réalisation de leur projet de concentration mais n’avait pas adopté de sanction dans ce dossier qu’elle allait, in fine, décider de bloquer.
Est-ce pour autant beaucoup de bruit pour rien ? Certainement pas. Au contraire ! La visite surprise des locaux d’INEOS et de Norsk Hydro en décembre dernier a adressé un message fort aux entreprises en Europe : la Commission n’entend pas tolérer que les entreprises parties à une fusion décident par avance du sort qui sera fait à leur projet de concentration.
Il est donc primordial, lorsque deux ou plusieurs entreprises envisagent de procéder à un rapprochement ou une fusion de leurs activités, de mettre en place les gardes-fous nécessaires afin de prévenir toute réalisation prématurée de l’opération de concentration ou toute coordination sur le marché. Ceci peut notamment impliquer la création d’une « clean team » composée de quelques représentants des parties et de leurs conseils externes, chargés de discuter des aspects commerciaux sensibles de l’opération en dehors du processus d’audit classique.
L’équipe concurrence de Hammonds a assisté INEOS dans ce dossier de concentration.