Une position récente de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) revient sur une pratique courante de comptabilisation d’une opération de réduction de capital non motivée par des pertes.
1. Rappel des dispositions légales
En application des dispositions des articles L. 223-34 alinéa 3, L. 225-205, R. 223-35 et R. 225-152 du Code de commerce, lorsque les actionnaires/associés d’une SA, d’une SAS, d’une SCA ou d’une SARL décident d’une réduction de capital non motivée par des pertes, les créanciers de la société (ainsi que le représentant de la masse des obligataires) peuvent former opposition à cette réduction dans un délai de vingt jours (ou d’un mois pour les SARL) à compter de la date du dépôt au greffe du Tribunal de commerce du procèsverbal de la décision.
Cette mesure est destinée à protéger les créanciers sociaux dont la créance est née antérieurement au dépôt au greffe susvisé.
Pour qu’un créancier puisse faire opposition, il suffit que sa créance soit « née » antérieurement à la date de ce dépôt. Il n’est donc pas nécessaire que cette créance soit aussi liquide (c’est-à-dire fixée dans son montant) et exigible.
L’opposition d’un créancier doit revêtir la forme d’une assignation de la société devant le Tribunal de commerce, car celui-ci ne peut statuer que contradictoirement, sauf exceptions prévues par la loi.
Le Tribunal peut :
• soit rejeter l’opposition ;
• soit ordonner la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes ;
• soit ordonner le remboursement des créances.
Afin que soient préservés les droits des créanciers, la loi précise que « les opérations de réduction du capital ne peuvent commencer pendant le délai d’opposition ni, le cas échéant, avant qu’il ait été statué en première instance sur cette opposition ».
En principe, la réduction de capital intervient donc :
• soit après l’expiration du délai de vingt jours ou d’un mois susvisé, si aucun créancier n’a fait opposition pendant ce délai ;
• soit après que le Tribunal ait statué en première instance si, ayant été saisi d’oppositions, il a jugé que celles-ci n’étaient pas fondées et devaient donc être rejetées ;
• soit après l’exécution de la décision du Tribunal (constitution de garanties ou remboursement des créances), si ce dernier a fait droit à la demande du ou des créanciers opposants.
2. Rappel de la pratique courante, issue de la position de la doctrine majoritaire
La doctrine (cf., notamment, Mémento Francis Lefebvre Sociétés Commerciales et Mémento Francis Lefebvre Comptable) estime, dans sa grande majorité, que, d’un point de vue juridique, la réduction de capital est définitive dès la décision des actionnaires/associés, puisqu’aucune des mesures judiciaires tendant à préserver les droits des créanciers opposants n’est susceptible de remettre en cause cette décision.
Ainsi, selon cette doctrine :
• les formalités d’enregistrement et de publicité doivent être effectuées dans le mois de la décision et non après le règlement du sort des oppositions ;
• le droit des actionnaires/associés à la distribution est acquis dès la décision ;
• la réduction de capital doit être comptabilisée à la date de la décision.
En d’autres termes, dès la décision, si la réduction est effectivement comptabilisée, elle ne peut donner lieu, à cette date, qu’à l’inscription comptable d’une dette ou de dettes de la structure envers le ou les actionnaires/associés bénéficiaires de la distribution. En effet, ce n’est qu’à l’issue du délai d’opposition que la distribution peut être réalisée.
Cette position concernant la date de comptabilisation de l’opération entraîne donc des conséquences importantes, notamment, lorsque la réduction de capital est décidée en fin d’exercice et que l’expiration du délai d’opposition des créanciers n’intervient qu’au début de l’exercice suivant.
Elle permet en effet à une société de comptabiliser une réduction de capital non motivée par des pertes dans les comptes d’un exercice N – et donc de présenter une situation comptable précise – sans avoir à attendre l’expiration d’un délai de vingt jours ou d’un mois intervenant en N+1 ; ce qui peut constituer un gain de temps appréciable, surtout lorsque toute opposition de créanciers se révèle, en pratique, totalement théorique.
En revanche, selon cette même doctrine, la réduction de capital n’est définitive qu’après l’expiration du délai d’opposition des créanciers (la comptabilisation de cette opération intervenant en conséquence après l’expiration dudit délai) dans les deux cas suivants :
• lorsque les actionnaires/associés se bornent à autoriser la réduction de capital et donnent tous pouvoirs à l’organe de gestion (Conseil d’Administration, Directoire, Président ou Gérant) pour décider, au vu des oppositions éventuelles, s’il convient de réaliser ou non l’opération : dans ce cas, la comptabilisation se fait à la date de la décision de l’organe de gestion ;
• lorsque la décision des actionnaires/associés est soumise à la condition suspensive de l’absence d’oppositions ou à celle que les oppositions n’excèdent pas un montant déterminé : dans ce cas, la comptabilisation doit se faire dès l’expiration du délai d’opposition.
Notons que, dans ce second cas, la date de réalisation de la réduction de capital devrait, selon nous, pouvons intervenir, soit à la date de la décision, soit à la date de l’expiration du délai d’opposition des créanciers, au choix des actionnaires/associés.
En effet, en droit civil (article 1179 du Code civil), un contrat comportant une condition suspensive est réputé conclu à la date de survenance de la condition seulement si les parties en ont décidé ainsi. A défaut d’une telle stipulation, le contrat est réputé formé au jour où il a été conclu, car la condition rétroagit.
Toutefois, considérer que la réduction de capital est définitive dès la décision des actionnaires/associés reviendrait à créer une distorsion entre le juridique et le comptable.
3. Position récente de la CNCC
Dans l’un de ses bulletins récents (Bulletin CNCC n° 163-2011, page 602), la Commission des études comptables de la CNCC a indiqué qu’une réduction de capital non motivée par des pertes ne peut être comptabilisée qu’à l’issue du délai d’opposition des créanciers.
La Commission considère, en effet, qu’en application des dispositions du Code de commerce, la réduction de capital est soumise, implicitement ou explicitement, à la condition suspensive de l’expiration du délai d’opposition et qu’en conséquence, l’opération ne peut pas être comptabilisée avant.
Pour la Commission, il convient d’interpréter les dispositions du Code de commerce relatives à la réduction de capital non motivée par des pertes de façon analogue aux dispositions de l’article 1844-5 du Code civil concernant l’opération de TUP qui, elle aussi, fait l’objet d’un délai d’opposition des créanciers. Rappelons, en effet, qu’en 2003 (Bulletin CNCC n°129-2003, page 184 et erratum publié dans le Bulletin n°131-2003), la Commission avait conclu que, compte tenu des conditions suspensives prévues par l’article 1844-5 du Code civil, la TUP ne pouvait être reflétée dans les comptes qu’à l’issue du délai d’opposition d’un mois à compter de la date de publication de la dissolution.
Selon la Commission, les actionnaires/associés ne peuvent ainsi que décider la réduction de capital et en déléguer l’exécution à l’organe de gestion, ce dernier ne pouvant procéder à la réalisation de la réduction du capital qu’à l’issue du délai d’opposition. En conséquence, si le délai d’opposition est en cours à la date de clôture de l’exercice social, la réduction de capital ne pourra pas être prise en compte à cette date. Si cette réduction de capital est significative, il convient alors de la mentionner dans l’annexe des comptes.
Dans le cadre de la préparation d’une opération de réduction de capital, notamment en fin d’exercice, mais également si la date d’effet de l’opération est un élément important de l’opération, il conviendra donc désormais de se rapprocher du Commissaire aux comptes de la société et, s’il applique la position de la CNCC, de tenir compte de cette position dans la détermination de la date de comptabilisation de l’opération, afin d’éviter toute difficulté.
Reste également à savoir comment interpréter la position de la Commission sur la « délégation » de l’exécution de la réduction de capital à l’organe de gestion. Est-ce à dire que l’organe de gestion doit nécessairement constater l’absence d’opposition à l’issue du délai conféré aux créanciers et procéder ensuite à la réduction de capital (ce qui suppose de rédiger un procès-verbal qui n’était pas nécessaire jusqu’à présent) ou la Commission veut-elle simplement rappeler que la décision prise par les actionnaires/associés ne peut pas prendre effet tant que le délai d’opposition des créanciers n’a pas expiré ?
En tout état de cause, la position de la CNCC soulève de notre part certaines interrogations :
• Peut-on raisonnablement comparer le mécanisme juridique de l’opération de TUP avec celui d’une réduction de capital non motivée par des pertes ?
En effet, l’article 1844-5 du Code civil précise que « la transmission du patrimoine n’est réalisée et il n’y a disparition de la personne morale qu’à l’issue du délai d’opposition ou, le cas échéant, lorsque l’opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées. ». La transmission n’est donc juridiquement pas soumise à la condition suspensive de l’expiration du délai d’opposition (omission faite des autres cas), mais constitue une opération définitive, dont la date de réalisation est différée à l’expiration de ce délai (omission faite des
autres cas).
En revanche, faute d’une disposition légale précisant la date de réalisation d’une réduction de capital non motivée par des pertes (seule existe la disposition légale relative à la mise en oeuvre d’une telle réduction de capital), les principes généraux en matière de droit des sociétés sont applicables :
o Si l’organe prenant la décision ne stipule rien, c’est à l’issue de la réunion de cet organe que la réduction de capital est juridiquement réalisée (indépendamment des conditions applicables à sa mise en oeuvre) ;
o Si la décision des actionnaires/associés stipule que la réduction de capital est soumise à la condition suspensive de l’absence d’opposition des créanciers (omission faite des autres cas), cette décision n’est alors définitive qu’après l’expiration dudit délai d’opposition (omission faite des autres cas), pour les raisons visées supra.
• La comptabilisation de la réduction de capital dès la décision des actionnaires/associés avec, dans un premier temps, inscription d’une dette ou de dettes envers les actionnaires/associés concernés, puis avec, dans un second temps, inscription de la distribution effectuée, ne répond-t-elle pas, en définitive, à la problématique, pas pour autant nouvelle, posée aujourd’hui par la CNCC ?