La Russie est un acteur incontournable de l’économie mondiale notamment dans les secteurs de l’énergie et des transports. Elle a signé plusieurs traités bilatéraux reconnaissant force exécutoire aux jugements et sentences rendus à l’étranger. C’est ainsi que la Russie a été successivement partie à la Convention de New York de 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, à quelques conventions bilatérales et s’est dotée en 1993 d’une loi nationale sur l’arbitrage commercial international, fortement inspirée par la CNUDCI.

L’examen des demandes d’exécution des sentences arbitrales internationales est confié, à titre exclusif depuis 2002, aux tribunaux de l’arbitrazh dont le présidium SCA constitue l’institution suprême de contrôle. Sur la base des affaires qui lui ont été soumises, la SCA a publié un rapport très instructif. La revue de la CCI a publié une étude récente sur cette question. Il en ressort, ainsi que du rapport de la SCA, que certains moyens procéduraux constituent un frein à l’exécution des sentences, l’application des conventions internationales et l’efficacité des sentences n’étant pas toujours garantie. Trois thèmes principaux peuvent être évoqués.

Charge de la preuve inversée dans la phase l’exécution de la sentence

La Convention de New York et la loi type de la CNUDCI imposent au Défendeur, qui entend contester l’exécution d’une sentence arbitrale, d’établir la preuve d’un défaut de notification des actes de procédure, permettant d’établir la violation du contradictoire.

L’examen des décisions des tribunaux Russes révèle une méconnaissance de ces conventions puisque la partie demanderesse doit apporter la preuve d’avoir dûment informé la partie défenderesse, dès lors que cette dernière conteste la régularité de la procédure. En ce sens, il a pu être décidé que « la déclaration par (le défendeur) qu’il n’avait pas été dûment informé aurait pu être contrée si (le demandeur) avait fourni la preuve nécessaire au tribunal arbitrazh. Mais tel ne fut pas le cas . » D’autres décisions démontrent que les tribunaux Russes se fondent avant tout sur l’examen des éléments de preuve apportés par la partie demanderesse pour autoriser ou non l’exécution d’une sentence.

A titre pratique, il incombe donc à toute partie à un arbitrage devant être exécutée en Russie de porter une attention particulière à la conservation des preuves d’envoi. La conservation des reçus attestant de la remise effective des actes de procédures au défendeur Russe, et à son conseil dûment habilité à le représenter dans la procédure d’arbitrage, seront de précieux éléments pour assurer l’exécution de la sentence.

Errements dans l’interprétation de l’atteinte à l’ordre public

L’ordre public est une de ces notions complexes à appréhender en droit international privé. Ses contours mobiles ne facilitent pas le contrôle du juge local lorsqu’une partie est confrontée à une tradition étatique forte.

L’ordre public (ou la violation des « principes fondamentaux russes ») est régulièrement invoqué devant les tribunaux Russes. Si la majorité des décisions rendues sur le fondement de l’ordre public font état d’une interprétation stricte de cette notion, des affaires célèbres ont révélé une confusion entre l’ordre public et l’intérêt de l’Etat, les tribunaux Russes ayant eu tendance à s’immiscer dans le fond de l’affaire.

A titre d’exemple, la décision rendue par le tribunal arbitrazh fédéral de la région de Volgo-Viatsky a annulé une sentence qui aurait pu provoquer la faillite du défendeur et avoir « une incidence négative sur la situation économique et sociale à Nizhny Novgorod » . La distinction entre ordre public international et loi de police ne semble donc pas encore complètement assimilée par les juridictions Russes.

Le présidium SCA donne d’ailleurs sa propre définition de l’ordre public « fondé sur des principes d’égalité des parties dans les relations civiles et juridiques, sur la bonne foi dans leur comportement, sur la proportionnalité de la responsabilité civile aux conséquences des manquements, eu égard à la faute des parties. » Concepts mous aurait dit Jean Carbonnier. Mais gardons nous de faire de quelques affaires la règle, l’ordre public n’étant brandi que rarement comme rempart à l’exécution, et sans doute pas plus en Russie qu’ailleurs.

Incompatibilité de la sentence avec une décision locale

Le moyen de défense le plus radical est d’obtenir d’une juridiction Russe, via l’action d’un tiers (généralement un actionnaire), la nullité du contrat de base de l’arbitrage. Cette décision empêchant au demandeur d’obtenir l’exécution d’une sentence basée sur la validité de ce dernier.

A titre d’exemple, l’affaire Quality Steel c. Bummash fait état d’une action indirecte. Un actionnaire de la société Bummash, a obtenu auprès d’un tribunal local, la nullité de la transaction conclue entre les intéressées au motif qu’elle n’avait pas été approuvée par le conseil d’administration du défendeur. Dès lors, Quality Steel n’a pu obtenir l’exécution d’une sentence favorable en Russie en raison d’une décision judiciaire Russe contradictoire ayant prononcé la nullité du contrat sur lequel sa demande d’indemnisation avait été fondée.

Cette pratique est beaucoup plus gênante, dans la mesure où elle remet directement en cause le principe d’autonomie de la clause d’arbitrage. Cette difficulté, ajoutée à celles générées par l’interprétation de la matière arbitrable en droit Russe, notamment sur le fondement de l’article 248 du code de procédure, doit inciter les plaideurs à une certaine prudence.

Il faut y voir aussi, sans doute, la révélation d’un droit jeune, en cours de création, pour lequel les juges ont encore un important travail pédagogique à mener. Il convient d’en tenir compte pour toute affaire impliquant des sociétés ressortissant de la Fédération de Russie afin d’assurer une défense optimale des intérêts des parties non Russes.