Une mise au point sur le Co-emploi

À partir de l’arrêt « Molex » du 2 juillet 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation a posé un attendu de principe selon lequel, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière (Cass. soc. 2 juillet 2014 n° 13-15.208 FS-PB).

Trois arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 6 juillet 2016 méritent l’attention.

Dans l’affaire « Continental » (n° 14-27.266), la Cour de cassation précise que ne suffit pas à caractériser une situation de co-emploi le fait que la politique du groupe, déterminée par la société mère, a une incidence sur l’activité économique et sociale de sa filiale, que cette société a pris dans le cadre de cette politique des décisions affectant le devenir de sa filiale, et s’est en outre engagée à garantir l’exécution des obligations de cette dernière, liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois.

La Haute juridiction rend une décision de même nature dans l’affaire « Sté Proma SSA » (n° 14-26.541 FS-PB) où elle censure l’arrêt de la cour d’appel qui avait déduit une situation de co-emploi d’indices liés au fait que les dirigeants de la filiale provenaient du groupe, agissaient en étroite collaboration avec la société mère, que la politique du groupe déterminée par cette dernière influait notamment sur la stratégie commerciale de la filiale, et que la société mère s’était engagée au cours du redressement à prendre en charge le financement du plan de sauvegarde de l’emploi.

Mais dans l’affaire « 3 Suisses » (n° 15-15.481 FS-PB), la chambre sociale approuve la décision de la Cour d’appel de Douai d’avoir reconnu la qualité de co-employeur des deux sociétés en cause à partir d’une conjonction d’indices tels que notamment :

– La centralisation et le transfert au sein de la société mère des équipes informatiques, comptables et ressources humaines ;
– la perte d’autonomie décisionnelle de la filiale en matière de formation, de mobilité et de recrutement ; la prise en charge de tous les problèmes de nature contractuelle, administrative et financière rencontrés par la filiale ;
– le fait que le contrôle du service comptabilité clients de la maison mère s’exerçait jusqu’aux feuilles de caisse mensuelles que les responsables des boutiques de la filiale française devaient lui transmettre régulièrement ;
– ou encore la circonstance que le service juridique du groupe international était intervenu pour dénoncer les contrats conclus avec les retoucheuses à l’occasion de la fermeture de ces boutiques et qu’il s’était substitué à la filiale dans le cadre des poursuites pénales contre des salariés soupçonnés de détournement d’argent au préjudice de cette dernière.

On était donc bien ici dans un cas de confusion totale d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion abusive dans la gestion économique et sociale de la filiale, lui ayant fait perdre son autonomie et ses prérogatives d’employeur juridiquement indépendant.

Responsabilité délictuelle de l’actionnaire

En cas d’échec du co-emploi, les salariés licenciés pour motif économique peuvent aussi rechercher la responsabilité civile de leur actionnaire majoritaire s’ils sont en mesure d’établir une faute ayant contribué à la suppression de leur emploi.

Cette voie est admise. La chambre sociale de la Cour de cassation reconnaît en effet le droit pour des salariés d’agir en responsabilité délictuelle contre une société qui n’est pas leur employeur (Cass. soc. 28 septembre 2010 n° 09-41.243 F-D). Elle a, par exemple, approuvé la condamnation sur ce terrain d’une société mère, qui avait pris des décisions ne répondant à aucune utilité pour elle et qui étaient uniquement profitables à l’actionnaire unique, ayant aggravé les difficultés économiques déjà existantes de la filiale et concouru à sa déconfiture et, ce faisant, à la disparition des emplois des salariés concernés (Cass. soc. 8 juillet 2014 n° 13-15.573 FS-PB et 13-15.845 FS-D).

L’action en responsabilité délictuelle est donc envisageable pour les salariés qui ne justifieraient pas d’éléments suffisants pour faire admettre la qualification de co-employeur d’une société du groupe autre que celle qui les emploie ou qui, tout simplement, préféreraient agir sur ce terrain.

Un arrêt récent (CA Amiens 28 juin 2016, RG n°16/02344), conforte cette tendance. Un fonds d’investissement, l’Américain Sun Capital Partners, a été condamné pour des licenciements dans une entreprise, Lee Cooper, liquidée en 2010, qu’il contrôlait. Au moment de la liquidation, Sun Capital Partners était l’actionnaire principal du groupe Lee Cooper (à plus de 90 %) au travers de diverses holdings. Cette filiale française du fabricant britannique de jeans avait été placée en redressement judiciaire par le Tribunal de commerce d’Amiens en mars 2010. Quatre mois plus tard, le tribunal avait donné son feu vert à la reprise de l’entreprise par Linda Textile et prononçait sa liquidation partielle. Ce plan de cession prévoyait la reprise de 47 salariés sur 121.

Sun Capital Partners ne pouvait pas être considéré comme co-employeur. Néanmoins, la Cour d’appel a relevé que des  « opérations contestables […] à l’encontre des intérêts de Lee Cooper France et […] dans le seul intérêt de son actionnaire principal » révélaient des fautes de gestion, et à tout le moins la légèreté blâmable, de l’actionnaire principal. Ainsi, à ce titre Sun capital Partner a été condamné à payer aux salariés des dommages et intérêts au titre de la perte de leur emploi.

Désormais, non seulement l’employeur qui licencie pourra être condamné à verser des dommages et intérêts pour licenciement abusif, mais les salariés pourront aussi se retourner contre la société mère, s’ils parviennent à démontrer que la perte de leur emploi est consécutive à des opérations contestables effectuées par l’actionnaire, en vertu de la responsabilité extracontractuelle dirigée contre un tiers auquel sont imputées des fautes ayant concouru à la déconfiture de l’entreprise et par là, à la perte des emplois.
Contact : pauline.pierce@squirepb.com