Cass., com. 5 déc. 2018, n° 17-15.973
Aux fins de garantie, les contrats de vente d’actifs stipulent fréquemment une clause de réserve de propriété (retention of title clause), clause par laquelle l’effet translatif de propriété de l’actif est suspendu jusqu’au complet paiement du prix de vente. Par ailleurs, dans le cadre de programmes de refinancement de créances, il est courant que la structure du produit financier repose sur l’achat de créances assorties d’une réserve de propriété.
L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 5 décembre 2018 est donc intéressant à plus d’un titre et met en lumière l’efficacité d’une telle clause dans le cadre du droit des procédures collectives.
Les faits
Un fournisseur avait livré diverses marchandises à une société qui n’avait pas payé les factures correspondantes. Sur les bons de livraison, figurait une clause de réserve de propriété aux termes de laquelle le vendeur « se réserve expressément la propriété des produits livrés jusqu’au complet paiement du prix de vente et des intérêts, des frais et accessoires ».
A la suite de l’ouverture précoce d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société, le fournisseur a revendiqué auprès du liquidateur judiciaire la propriété des marchandises livrées.
Un vendeur peut, en effet, revendiquer des biens vendus sous réserve de propriété dès lors qu’ils se retrouvent en nature au moment de l’ouverture de la procédure, à condition que la clause ait été stipulée par écrit au plus tard au moment de la livraison (C. com., art. L. 624-16). L’action en revendication doit être adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à l’administrateur ou, à défaut de désignation de celui-ci, au débiteur (C. com., art. R. 624-13). L’article L. 624-9 du Code de commerce enferme cette revendication dans un délai de trois mois à compter de la publication du jugement ouvrant la procédure.
A défaut de réponse plus d’un mois plus tard, le fournisseur saisit le juge-commissaire d’une requête en revendication portant sur les marchandises existant en nature au jour du jugement d’ouverture et sur leur prix de revente (au motif que la revente avait eu lieu après le jugement).
La saisine du juge-commissaire doit, sous peine de forclusion, être effectuée dans un délai d’un mois suivant l’expiration du délai de réponse, lui-même d’un mois à compter de la réception de la demande (C. com., art. R. 624-13).
Par ailleurs, tout ou partie du prix des biens vendus sous réserve de propriété peut être revendiqué en l’absence de paiement, de règlement en valeur ou de compensation entre l’acheteur et le débiteur à la date du jugement d’ouverture (C. com., art. L. 624-18). On sait que par l’effet du mécanisme de subrogation réelle institué par cet article, le prix de revente (après le jugement d’ouverture) se substitue au bien.
Dans ce contexte, le liquidateur judiciaire a accepté la revendication en nature de six cartons de marchandises non revendus trouvés dans les locaux de la société mise en liquidation, mais s’est opposé à celle du prix des marchandises revendues.
Le tribunal de commerce d’Amiens, saisi du recours contre l’ordonnance du juge-commissaire, a fait droit, notamment, à la revendication des marchandises en nature et a déclaré irrecevable la revendication sur le prix de revente du reste des marchandises revendues avant l’ouverture de la liquidation judiciaire.
L’arrêt de la cour d’appel
Sur le double fondement des articles L. 624-9 et L. 624-18 du Code de commerce, la cour d’appel d’Amiens a partiellement infirmé le jugement du tribunal de commerce, autorisant ainsi le fournisseur à revendiquer le prix de revente des marchandises, pour autant que le prix ait été payé post-jugement d’ouverture.
En effet, le prix de revente des biens ne peut être revendiqué si le paiement a eu lieu avant l’ouverture de la procédure collective (C. com., art. L. 624-18). Or, le liquidateur judiciaire n’avait pas contesté la vente des biens à un sous-acquéreur postérieurement au jugement d’ouverture. Il était donc fait droit à la demande du revendiquant, qui arguait de cette revente post-jugement.
A cet égard, comme le rappelle la cour d’appel, il est de jurisprudence constante que la charge de la preuve de la date du paiement pèse sur le revendiquant. Or, en l’espèce, dès lors que le liquidateur avait refusé d’adresser une copie de l’inventaire des stocks au fournisseur, le privant d’un accès à la comptabilité de la société et donc, de la faculté de rapporter la preuve de la date du paiement, un renversement de la charge de la preuve était justifié.
Les juges d’appel, se fondant sur ce refus ainsi que sur l’absence de contestation, par le liquidateur, de l’existence de ce paiement et de la période de sa survenance face aux affirmations du revendiquant, décidèrent de faire droit à la requête de ce dernier.
La solution de la Cour de cassation
Le liquidateur judiciaire s’est pourvu en cassation, estimant, entre autres, que la revendication du prix de revente par le vendeur devait lui être soumise préalablement à la saisine du juge-commissaire, nonobstant le fait que le propriétaire ait revendiqué les marchandises en nature dans le délai légal.
La chambre commerciale de la Cour de cassation balaye son argument :
Dès lors que la procédure préliminaire de revendication du bien devant le liquidateur, qui constitue un préalable obligatoire à la saisine du juge-commissaire, a été suivie, le revendiquant est recevable à saisir ce juge d’une demande de revendication du prix du bien.
La Haute juridiction soulève, par ailleurs, le bien-fondé du raisonnement des juges d’appel s’agissant de la preuve d’un paiement du prix de revente postérieurement au jugement d’ouverture. Elle considère, en outre, que la cour d’appel n’a pas inversé la charge de la preuve. En effet, selon la Cour, le fait que le liquidateur, qui avait seul accès à la comptabilité de la société, n’ait pas contesté l’existence d’un paiement des marchandises postérieurement au jugement d’ouverture suffisait à établir la preuve de ce paiement.
Conclusion
Bien que cette solution nous apparaisse fondée et justifiée, il n’en demeure pas moins surprenant que la chambre commerciale de la Cour de cassation, contrairement à la cour d’appel, ait nié explicitement l’existence d’un renversement de la charge de la preuve. De fait, aucune preuve de la date du paiement n’a été apportée par le revendiquant, ce dernier étant dans l’incapacité matérielle de le faire. Il a néanmoins bénéficié du fait que le liquidateur était dans l’incapacité de rapporter la date de la revente.
On notera à ce sujet qu’il a d’ores et déjà été jugé qu’en l’absence d’inventaire, la charge de la preuve repose non plus sur le revendiquant, mais bien sur le liquidateur judiciaire (Cass., com. 1er déc. 2009, n° 08-13.187). Si la formulation de la Cour de cassation, l’est, la solution n’est donc pas nouvelle.
Cette décision confirme une nouvelle fois qu’il y a tout intérêt à considérer le recours à la clause de réserve de propriété aux fins de garantie lorsque la structure du financement s’y prête : sa consécration, depuis l’ordonnance du 23 mars 2006, au sein même du livre IV du Code civil dédié aux sûretés, dans les nouveaux articles 2367 à 2372, ne tient probablement pas du hasard.