CJUE 9 septembre 2021, aff. C‑783/19
Le Comité Interprofessionnel du vin de Champagne est connu pour défendre avec virulence l’appellation Champagne qui bénéficie de la protection des AOP (Appellations d’Origine protégée). Son attaque récente contre un bar à tapas espagnol « Champanillo » a permis à la Cour de Justice de l’Union Européenne d’éclaircir quelques points d’interprétation sur les AOP.
On se souvient qu’en 1993, le Comité avait obtenu l’arrêt de la commercialisation d’un nouveau parfum Champagne de la maison Yves Saint Laurent, commercialisé dans un très joli flacon évoquant un bouchon de champagne. Ce parfum a été depuis lors rebaptisé Yvresse. Dans cette affaire, la maison Saint Laurent avait en vain souligné que son parfum n’était en rien un concurrent des champagnes, le Comité soutenant de son côté qu’il cherchait à bénéficier de la notoriété et du prestige attachés au champagne.
Ce sont des débats similaires qui ont eu lieu récemment devant la CJUE dans l’affaire opposant le Comité à une société espagnole GB qui gère des bars à tapas sous l’enseigne Champanillo. Le Comité avait engagé une action devant le tribunal de commerce de Barcelone en espérant obtenir une interdiction de l’usage de Champanillo. Débouté en première instance, le Comité a fait appel devant la cour provinciale qui a posé aux juges européens quatre questions préjudicielles portant sur l’interprétation du Règlement n°1308/2013.
Par sa première question, la cour espagnole demandait si la protection d’une AOP s’étendait à son utilisation pour des services. La Cour répond par l’affirmative en s’appuyant sur le texte de l’article 103 du Règlement qui interdit « toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée… ».
Les deuxième et troisième questions concernaient l’interprétation du concept d’« évocation » utilisé dans le Règlement européen n° 1308/2013 qui prévoit que les AOP sont protégées contre toute « usurpation, imitation ou évocation ». Le mot Champanillo est en effet composé en langue espagnole de « champan » qui signifie champagne et du suffixe « illo » qui signifie petit et le Comité soulignait qu’il était accompagné du dessin de deux coupes s’entrechoquant, le tout évoquant le champagne. La CJUE juge que l’article 103 n’exige pas, à titre de condition préalable, que les produits et services évoquants soient similaires aux produits évoqués du moment qu’il y a un lien suffisant entre l’appellation incriminée et l’AOP.
La dernière question portait sur la relation entre la protection de l’AOP et les règles de la concurrence déloyale : la concurrence déloyale est-elle un préalable à une condamnation pour atteinte à l’AOP ? Sans surprise, la CJUE répond que dans certains cas, il peut y avoir à la fois concurrence déloyale et atteinte à l’AOP mais que la concurrence déloyale n’est pas un préalable.
On relèvera pour finir que les juges européens « taclent » leurs homologues catalans en soulignant qu’ils n’ont pas appliqué le bon texte. En effet, la cour de Barcelone avait évoqué un traité de 1973 entre la France et l’Espagne alors que, selon les juges de Luxembourg, seul le Règlement n°1308/2013 était applicable. Les juges européens considèrent également, sans le dire expressément, que les questions ont été mal posées par la cour espagnole et prennent l’initiative de les réécrire. Sur le fond, ils adoptent une interprétation qui est clairement favorable aux titulaires des AOP. Champagne donc pour le Comité Champagne !