Ce Breton de 49 ans a fait un tour du monde à 2O ans et a écrit pour le Routard : depuis, Caryl Férey est devenu l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages ainsi que de romans pour la jeunesse.
Zulu  [1] est un copieux roman policier d’une densité extraordinaire et d’une prodigieuse richesse. C’est que l’auteur se documente avec sérieux ainsi que l’atteste la bibliographie jointe.

Dans l’Afrique du Sud d’après l’accession de Nelson Mandela au pouvoir, Ali Neuman, un Zoulou, est devenu le chef de la police criminelle de Cape Town. Hanté par le souvenir de son père et de son frère, tous deux massacrés par des racistes blancs, son besoin de justice l’a mené à ces hautes fonctions. Une enquête qu’il ouvre avec ses équipiers sur le meurtre atroce d’une jeune fille de la société conservatrice entraîne le lecteur dans l’histoire récente de cette « nation arc-en-ciel », la coexistence multiraciale continuant à produire une violence qui fait de ce pays l’un des plus dangereux du monde. Un foisonnement de pistes criminelles différentes se fait jour : l’inégalité sociale, le chômage, la pauvreté ont donné naissance à des gangs qui s’affrontent pour s’emparer des marchés lucratifs de la drogue et de la prostitution. De surcroît, l’apartheid reste dans la mémoire des bourreaux comme dans celle des victimes. On trouve donc là les codes habituels du genre, mais la singularité de ce policier réside dans une passionnante analyse de l’histoire politico-sociale de l’Afrique du Sud d’hier et d’aujourd’hui. Créateur de nombreux personnages dotés d’une vraie épaisseur, organisant la savante architecture d’intrigues multiples, dans une écriture percutante où émergent parfois des fulgurances d’une poésie étrange, Caryl Férey est ici tout simplement un grand romancier.

On retrouve le même schéma et surtout les mêmes qualités dans Utu[2] , livre dans lequel un policier déchu reprend du service pour éclaircir le prétendu suicide de son ex-collègue et ami et traquer un chaman maori soupçonné d’être l’auteur de crimes en série particulièrement horribles. Ici, nous sommes en Nouvelle-Zélande, c’est le choc culturel entre une civilisation moderne et un peuple dit primitif qui intéresse l’auteur et séduira le lecteur.

Mapuche[3] se déroule dans une Argentine mal guérie de son passé et offre un superbe portrait de femme en la personne de Jana, descendante d’Araucans, ce peuple aborigène qui ne fut guère épargné. Sa rencontre avec un survivant « subversif » de l’époque de la dictature devient un combat partagé pour des valeurs de refus et des rêves de justice.

Enrichissant un genre qui ne brille pas toujours par son originalité mais qui a révélé d’immenses écrivains, Férey bâtit une œuvre. C’est la cohérence au travers des titres successifs qui, en littérature comme au cinéma, caractérise ceux et celles qu’on appelle des auteurs et Caryl Férey est un grand auteur par son ouverture à des cultures diverses et à la difficile cohabitation de certaines, sans occulter l’omniprésence de la violence, dans ses textes éblouissants, comme dans la vie des hommes.  


[1] Gallimard Série Noire 2008   395 p. + Folio Policier 2010  464 p. [2] Gallimard Série Noire 2004   401 p. + Folio Policier 2008,  480 p. [3] Gallimard Série Noire 2012  453 p. + Folio Policier 2016, 560 p.