RUY BLAS, survenant.
« Bon appétit, messieurs ! » 
Tous se retournent. Silence de surprise et d’inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.
«Ô ministres intègres !
Énarques et bureaucrates vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où la France agonisante pleure !
Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
– Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
La France et sa vertu, la France et sa grandeur,
Tout s’en va. – nous avons, depuis Bonaparte,
Perdu la Patrie, la famille, sans combattre;
Renault à Billancourt, Maastricht en Luxembourg ;
Et tous les ouvriers jusqu’au dernier faubourg ;
L’industrie, la culture, la pensée, cinq mille lieues
De côte, Tombouctouc, et les montagnes bleues !
Mais voyez. – du ponant jusques à l’orient,
L’Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
Comme si votre Flamby n’était plus qu’un fantôme,
Le Hollande et l’Anglais partagent ce royaume ;
Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu’à demi
Une armée au Mali, quoique pays ami ;
Le Grec et sa dette sont pleins de précipices.
La Chine, pour nous prendre, attend des jours propices.
L’Allemagne aussi vous guette. Et le coq Gaulois
Se meurt, vous le savez. – quant à vos vices, rois,
DSK, fou d’amour, emplit New York d’esclandres,
Lagarde vend Bercy, pantoufle au FMI, Depardieu part en Flandres.
Quel remède à cela ? – l’État est indigent,
L’État est épuisé de troupes et d’argent ;
Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,
Perdu deux Porte-avions, sans compter les galères.
Et vous osez !… – messieurs, en vingt ans, songez-y,
Le peuple, – j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! –
Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
Le peuple misérable, et qu’on pressure encor,
A sué quatre cent trente millions d’or !
Et ce n’est pas assez ! Et vous voulez plus de beurre !
Ah ! J’ai honte pour vous ! – au-dedans des banlieues, dealers
Vont battant le pays et brûlant les fourgons.
La Kalach est braquée au coin de tout balcon.
Comme si c’était peu de la guerre des princes,
Guerre entre les cités, guerre entre les provinces,
Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
Morsures d’affamés sur un vaisseau perdu !
Notre église en ruine est pleine de couleuvres;
Le palmier y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d’œuvres.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
La France, dans la nasse, étouffe d’assister.
De toute nation. – tout seigneur à ses gages
À cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
Ronds-de-cuir, Algénois, Jalbanais, PMA, RMI, Babel est dans Paris.
Cahuzac, dur au contribuable, en Suisse s’attendrit.
La nuit on assassine, et chacun crie: à l’aide !
– Hier on m’a volé, à moi, mon cher vélocipède –
Bercy qui dilapide, la France doit éponger.
Les Tapie sont vendus. Pas un effort payé.
Anciens vainqueurs du monde, français que nous sommes.
Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes,
Qui vont sans drones, trente Famas, dix Panhards
S’habillant d’un treillis, poursuivant les pillards
Aussi d’un régiment toute bande se double.
Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble
Où le malien douteux se transforme en larron.
Mokhtar Belmokhtar a plus d’un bataillon.
Les traders, les gabegies, les pilules, ont mangé les finances
Hélas ! Les paysans qui sont dans la mouvance
Insultent en passant la voiture du roi.
Et lui, Flamby, plein de deuil et d’effroi,
Seul, dans l’Élysée, avec les morts qu’il foule,
Courbe son front pensif sur l’hexagone qui croule !
– Voilà ! – l’Europe, hélas ! Écrase du talon
Ce pays qui fut pourpre et n’est plus que haillon.
L’état s’est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Ce grand peuple français aux membres énervés,
Qui s’est couché dans l’ombre et sur qui vous vivez,
Expire dans cet antre où son sort se termine,
Triste comme un lion mangé par la vermine !
– Charles, dans ces temps d’opprobre et de terreur,
Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant commandeur ?
Oh ! Lève-toi ! Viens voir ! -les bons font place aux pires.
Ce pays effrayant, fait d’un amas d’empires,
Penche… Il nous faut ton bras ! Au secours, Charles !
Car la France se meurt, car la France s’éteint !
Ton globe, qui brillait dans ta droite profonde,
Soleil éblouissant qui faisait croire au monde
Que le jour désormais se levait à Paris,
Maintenant, astre mort, dans l’ombre s’amoindrit,
Lune aux trois quarts rongée et qui décroît encore,
Et que d’un autre peuple effacera l’aurore !
Hélas ! Ton héritage est en proie aux vendeurs.
Tes rayons, ils en font des piastres ! Tes splendeurs,
On les souille ! -ô géant ! Se peut-il que tu dormes ?
On vend Marianne au poids ! Un tas de nains difformes
Se taillent des GPA et mariages de chimères, dans ton manteau de lois;
Et le coq impartial, qui, jadis, dans la joie,
Couvrait le monde entier de sagesse et de flamme,
Cuit, pauvre volaille plumée, dans leur marmite infâme ! »
[…/…]
Le Marquis Del Basta
(30 janvier 2013)
  On pourra consulter Ruy Blas de Victor Hugo dans une édition de 1866 (Éditeur : J. Hetzel) illustré de douze dessins par Foulquier & Riou, sur le site http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6130063s/f30.image