Cass. Soc., 7 Novembre 2018, n° 17-18.936 FS-PB
Par une décision qui s’inscrirait en apparence dans la continuité de sa jurisprudence antérieure[1], la Cour de cassation a considéré que des salariés en congé de reclassement étaient en droit de bénéficier de la participation aux résultats car ils demeurent salariés de la société qui les a licenciés pendant la durée de ce congé, et qu’ils perçoivent une rémunération, à savoir l’allocation de congé de reclassement, peu important qu’elle soit ou non prise en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation.
Avec l’apparence du bon sens, l’arrêt considère que l’éligibilité à la participation aux résultats est établie par la persistance d’un lien contractuel et l’existence d’une rémunération, de quelque nature qu’elle soit, ce qui n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés techniques et pratiques.
Une décision privative de droits
Cette décision vient priver d’une partie de leurs droits des salariés dont le contrat de travail n’a pas été rompu pour motif économique. La réserve spéciale de participation est une somme globale calculée notamment en fonction de la masse salariale, répartie ensuite entre les salariés bénéficiaires. L’allocation de congé de reclassement n’étant pas une rémunération au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, elle n’a pas vocation à être prise en compte pour calculer la réserve spéciale de participation[2].
En considérant que la réserve spéciale de participation doit bénéficier aux salariés en congé de reclassement, la Cour de cassation impute la quote-part de participation des salariés qui n’ont pas été licenciés pour motif économique du montant qui doit désormais être versé aux salariés en congé de reclassement. En effet, le montant de la réserve spéciale de participation n’est pas augmenté du montant global des allocations de reclassement. En revanche, la persistance du lien contractuel et la rémunération versée aux salariés en congé de reclassement ouvrent droit à cette même réserve spéciale de participation. La quote-part qui doit être versée individuellement aux salariés qui n’ont pas été licenciés pour motif économique en est mécaniquement réduite.
Se pose également une problématique de traitement « équitable » entre les salariés licenciés pour motif économique qui ont refusé le congé de reclassement, et ceux qui l’auraient accepté. Les premiers seraient privés de quote-part de réserve spéciale de participation une fois leur préavis terminé, tandis que les seconds bénéficieraient d’une quote-part de participation pour la durée du congé de reclassement correspondant au préavis, et pour celle qui l’excède[3].
Une décision privative d’application
La réserve spéciale de participation est répartie entre les salariés de manière uniforme, proportionnellement au salaire, proportionnellement à la durée de présence, ou en fonction de plusieurs de ces trois critères[4].
En cas de répartition uniforme, il n’y aura vraisemblablement pas de difficulté d’application. Tel ne sera pas le cas pour une répartition proportionnelle au salaire ou à la durée de présence. L’allocation de reclassement ne constitue pas un salaire brut pris en compte pour répartir la réserve spéciale de participation[5], et le congé de reclassement n’est pas constitutif d’une période de présence ayant vocation à être pris en compte pour une telle répartition, car il ne s’agit pas d’une période de travail effectif[6]. Les modalités de répartition proportionnelle sont donc mises à mal par la présente décision, faisant en outre courir un risque de redressement Urssaf aux sociétés auxquelles une mauvaise application des règles de répartition pourrait être reprochée.
Une décision privative de limites
La Cour de cassation a, nous semble-t-il, ouvert une boîte de Pandore. Par extension, les salariés en arrêt maladie qui bénéficient d’un maintien de salaire, ou encore des salariés en congé sabbatique rémunérés par un compte épargne-temps pendant la durée de ce congé, devraient pouvoir bénéficier d’une quote-part de réserve spéciale de participation. Plus généralement, toute situation dans laquelle le contrat de travail est suspendu, mais qui ouvre droit à rémunération, de quelque nature qu’elle soit, devrait ouvrir droit à une quote-part de réserve spéciale de participation.
Alors que la participation aux résultats est le fruit d’un compromis entre les avantages fiscaux et sociaux consentis par l’État à une société qui entend faire bénéficier ses salariés d’une partie des bénéfices qu’ils ont contribué à générer, cet arrêt vient, en définitive, dénaturer la logique économique de la participation aux résultats, et étendre substantiellement la liste des bénéficiaires potentiels à des personnes qui n’ont pas contribué aux résultats. Il convient désormais de redoubler de vigilance au moment de la répartition de la réserve spéciale de participation.
Contact : jean-sebastien.lipski@squirepb.com
[1] Cass. Soc., 22 mai 2001, n° 99-12.902 à propos des salariés expatriés ; Cass. Soc., 20 septembre 2018, n° 16-19.680 à propos des salariés détachés
[2] Articles L. 3324-1 et D. 3324-1 du code du travail
[3] Articles L. 1233-71 et L. 1233-72 du code du travail
[4] Article L. 3324-5 du code du travail
[5] Guide de l’épargne salariale, Dossier 2 – Participation, Fiche 4 III B, Juillet 2014
[6] Guide de l’épargne salariale, Dossier 2 – Participation, Fiche 4 III A, Juillet 2014