• En poursuivant de creuser le sillon Erri de Luca, je vous parlerai aujourd’hui, brièvement il va de soi, de « Montedidio », un texte qui a valu le Prix Femina étranger à l’auteur italien en 2002 (Folio 3913) (voir La Revue précédente). En lisant ces 230 pages de courtes nouvelles (maximum deux pages), vous vous enfoncez dans le quartier populaire de Montedidio sur les hauteurs de Naples ou « Montagne de Dieu ».
C’est la colline la plus élevée de la ville. Est-ce un roman, une fable ou un recueil de nouvelles ? Que vous dire ? Un joli conte où l’on rencontre un cordonnier juif bossu en route pour Jérusalem après la guerre, dont le périple s’arrête définitivement à Naples, deux enfants de 13 ans, Marie et l’auteur, un menuisier dont l’unique loisir est la pêche, un propriétaire immobilier pas tout à fait comme il faut et, de loin, le père de l’auteur et sa mère malade. Le dernier « personnage » est un boomerang jamais propulsé. Mais ce sont aussi les premiers émois de deux adolescents qui découvrent la vie et deviennent adultes le temps d’un été. Ce texte est mélancolique, touchant et bouleversant à la fois. Un véritable triomphe du rêve et de l’imaginaire. Vous ne serez pas déçus.
• Faut-il aller jusqu’à acheter et même lire « Sans tricher » ou un « J’insiste et persiste » (Les Arènes, 256 pages, 18€) ? Eva Joly aurait écrit ces 256 pages autobiographiques avec l’aide de Jean-Claude Guillebaud, journaliste et écrivain.
• Si vous avez raté Edvard Munch au Centre Pompidou, qui a plié bagages le 22 janvier, ne manquez pas « Danser sa vie », une exposition, non un spectacle vivant, remarquable, toujours à Pompidou, sur la danse moderne dans tous ses états. Le commissaire a rassemblé un bouquet de peintures, tant modernes que contemporaines, de sculptures mais également des oeuvres audiovisuelles interactives, de l’art vivant, le tout dans une parfaite harmonie. A défaut des peintures d’Edvard Munch, vous pourrez admirer celles d’Emil Nolde et Ernst Ludwig Kirschner. On retient ou on apprend que la danse est un art complet qui allie la performance – l’art du corps en mouvement, des arts visuels dans un dialogue fusionnel et un modernisme achevé. Il est question ici de la danse dégagée du ballet classique sans tutu ni ballerines, de corps souvent dénudés, de mouvements abstraits, la danse comme pivot de la révolution esthétique moderne. « Danser sa vie » ne se limite pas au ballet, mais va de John Travolta dans Saturday Night Fever au Freestyle dance, danse urbaine, en passant par la danse populaire et folklorique, avec ou sans plasticien chorégraphe. • De Pompidou, nous gagnons le Quai Branly pour visiter l’exposition « Exhibitions : l’invention du sauvage » accessible jusqu’au 3 juin 2012 (NB: contrairement à la plupart des musées de Paris, le musée du Quai Branly est fermé le lundi). Le commissaire n’est autre que Lilian Thuram, Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur 1998, connu également pour ses positions affirmées en politique, mais avant tout et surtout pour sa participation à la Coupe du Monde 1998, au Championnat d’Europe 2000 et à la Coupe du Monde de Football 2006.
Le parcours de cette exposition, qui se déroule en 4 parties, allant de « la découverte de l’autre » à sa « mise en scène », retrace 5 siècles d’obscurantisme, visant à redonner une identité perdue à ces hommes, femmes et enfants lointains de passage à Paris, exhibés en public, à l’instar de la Venus hottentote sur laquelle vous saurez tout. N’étant pas un inconditionnel du musée du Quai Branly pour ce qui est de son architecture et de l’organisation de ses salles, il n’en reste pas moins que certaines expositions méritent le détour. Nous vous avions parlé dans un précédent numéro de La Revue des Maoris. L’ « exhibition » d’êtres humains, « gentils sauvages », qui nous rappelle l’illustration des boites lithographiées du cacao Banania (« Y’a bon »), ne gênait pas nos ancêtres parisiens ou non qui visitaient le jardin d’acclimatation avec leurs enfants le dimanche. Ce type d’exhibition a cessé pendant la dernière guerre mondiale et n’a pas repris depuis, probablement en raison des séquelles du nazisme et du progrès cinématographique et de la télévision. Le français d’aujourd’hui va à la rencontre du « bon sauvage » sur son lieu de reproduction comme en Birmanie ou à Madagascar.
Vous découvrirez le rôle remarquable joué par le jardin zoologique d’acclimatation (aujourd’hui rebaptisé) et les Folies Bergères, sans oublier les expositions coloniales, dont la plus célèbre celle de 1933. Pour autant, cette pratique exhibitionniste n’a pas empêché les anglais de continuer à utiliser « exhibition » alors que les français parlent pudiquement d’exposition…
Laissons le passé au passé – sans toutefois devenir négationniste – et allons de l’avant. Donnons aux enfants, quelle que soit leur couleur, la possibilité de s’identifier à des héros leur ressemblant à côté de Vercingétorix ou du Chevalier Bayard. L’historien de la colonisation Pascal Blanchard l’aura compris en nous proposant « Noirs de France », une série documentaire sur France 5[1], qui retrace la construction de l’identité noire française en donnant la parole aux acteurs et héritiers de cette saga encore bien mal connue. Trois siècles d’histoire occultés, mis en lumière à partir de l’exposition universelle de 1889. Les prochains manuels d’histoire du primaire nous présenteront Joséphine Baker, Léopold Sédar Senghor, Frantz Fanon, Aimé Césaire, Abdelkader, parmi d’autres.
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[1] Diffusion à partir du 5 février 2012