Si on aborde commodément l’œuvre d’Augusten Burroughs, né en 1965 à Pittsburgh, à travers ses deux recueils de nouvelles : Pensée magique (2004) et Effets secondaires probables (2006)[1], on est à la fois frappé et séduit – quand on n’est pas choqué et révolté – par le ton d’extrême liberté avec lequel l’auteur se met en scène lui-même, ainsi que sa famille, ses amis, ses amants et ses connaissances. Ce qui peut apparaître comme politiquement incorrect dans sa candide impudeur touche profondément par son absolue sincérité que tempèrent une ironie féroce et une autodérision impitoyable. L’égotisme de Burroughs qui nourrit exclusivement ses évocations rapides, souvent plaisantes et acerbes, laisse entrevoir ici ou là des aveux confondants. Si une curiosité de bon aloi, éveillée par une empathie sincère, pousse le lecteur plus avant, il peut aborder ensuite les romans.

Un loup à ma table (2008) est centré sur la figure du père, professeur d’université souffrant d’un très douloureux psoriasis arthritique et consumé par l’alcool. L’homme ignore totalement ses deux garçons, l’aîné étant une sorte de génie déséquilibré qui fuira rapidement la famille, le second, Augusten, tentant désespérément d’exister aux yeux de son géniteur. La mère, psychotique, rêve d’être écrivaine. Elle devra fuir la violence de son conjoint avant qu’un divorce mette un terme à la catastrophe.

Courir avec des ciseaux (2002) décrit l’univers d’illusions dans lequel se réfugie l’enfant de treize ans pour échapper à la haine féroce qui anime le couple parental « au double homicide potentiel ». Confié à la famille du psychiatre de la mère, c’est dans une invraisemblable maison de fous qu’il s’installe, le praticien lui-même étant gravement atteint. Augusten sera violé par un malade adulte, autre fils adoptif du médecin, ce qui décidera de son orientation sexuelle.

Le jeune adulte de Déboire (2003), publicitaire à succès, doit lutter contre ses addictions à l’alcool et aux drogues et c’est une descente aux enfers qui se poursuit, la rédemption venant peut-être de ses amours et de sa vocation d’écrivain.

Réduite à ces quelques notes, l’œuvre peut paraître épouvantablement trash, d’autant que la littérature étasunienne n’est pas avare de cette matière. L’auteur est conscient et avoue « un seuil de tolérance très élevé face à la bizarrerie », confiant même : « raconter ça par écrit, personne ne me croirait ». Et pourtant si ! Si l’on pense qu’une des voies de la littérature est de dire la vérité d’un être, toute la vérité, alors vive l’autofiction et vive l’œuvre bouleversante d’Augusten Burroughs !


[1] Éditions Héloïse d’Ormesson 2012. Les autres titres sont disponibles en 10/18.