Le décret du 29 juillet 2023 et les métamorphoses du procès civil
(Vieux enjeux, nouvelles options et stratégies)
« Jamais tant de vertu fut-elle couronnée ? » (Esther, Racine)
Le décret 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire, prolongement des « Etats-généraux de la justice » (ouverts en octobre 2021), est applicable aux instances introduites à compter du 1er novembre 2023.
En janvier dernier, le Garde des Sceaux a dressé un bilan sans concessions de notre système judiciaire. La justice respire mal. Ses maux séculaires sont connus : trop lente, trop complexe, morcelée, imprévisible, manquant de moyens, victime d’une inflation législative incontrôlable. L’objectif, c’est une justice « plus rapide, plus claire, plus moderne ». Cela implique un effort budgétaire substantiel. Il s’agit, à l’horizon 2027, d’atteindre 11 milliards d’euros (8,8 milliards en 2022), recruter 1.500 magistrats et 1.500 greffiers, digitaliser et déconcentrer la place Vendôme. Cela suffira-t-il pour sortir de l’ornière ?
« Tout n’est pas dit quand un code a parlé » (Victor Hugo, Les Misérables). Aujourd’hui, à peine 1% des litiges soumis aux juridictions sont résolus par la médiation. Depuis plus de vingt ans, les rapports, commissions, hautes-autorités se succèdent qui préconisent de donner la place qu’ils méritent aux Modes Amiables de Règlement des Différends (par exemple lors du grand débat sur La Justice du XXI e siècle ; 2012-2016).
Le décret du 29 juillet, à la recherche du temps perdu, met en place une flexibilité et des options procédurales intéressantes (rappelant un peu les « circuits » judiciaires d’outre-manche). Il ne s’agit pas de déjudiciarisation. Le juge, reste pilote. Il lui sera désormais loisible d’orienter la procédure vers une mise en état traditionnelle, ou, de concert avec les parties, vers une Audience de Règlement Amiable (ARA) ou encore vers une césure du procès, si elle est demandée. Les parties se réapproprient leur litige qui retrouve une dynamique résolutoire que l’on espère positive. La réforme n’est pas (encore ?) applicable au stade de l’appel.
I. L’Audience de Règlement Amiable (art 774-2 du CPC)
A. Définition et objectifs
Le nouvel article 774-2 du code de procédure civile (CPC) met en place un nouvel office conciliatoire du juge : « L’audience de règlement amiable a pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige ». Vaste programme… !
Cette audience s’inspire des très efficaces « conférences de règlement amiable civiles » québécoises. On rappellera qu’en application de l’art.21 CPC, il « entre dans la mission du juge de concilier les parties ». Pour moult raisons (historiques, budgétaires, politiques, anthropologiques), le « juge conciliateur » français n’a jamais rencontré beaucoup de succès. Le juge de paix a été supprimé en 1958.
B. La mise en œuvre de l’ARA
1. Les juges compétents
Le président de chambre du Tribunal Judiciaire (TJ), le juge de la mise en état, le président du TJ en référé peuvent renvoyer en ARA. Tout juge du TJ peut tenir une ARA. Le juge la présidant ne pourra par la suite siéger au fond. Préserver la confidentialité de l’audience c’est favoriser les échanges francs et concessions réciproques, gages d’accords gagnants-gagnants.
Le juge doit recueillir l’avis des parties, mais il n’est pas lié par cet avis. Les parties sont convoquées à l’ARA à la diligence du greffe, par tous moyens. Elles doivent comparaître en personne. La convocation (mesure d’administration judiciaire), insusceptible de recours, ne dessaisit pas le juge, mais c’est une cause d’interruption de la péremption de l’instance au fond.
2. Le déroulement de l’audience
L’audience se tient en chambre du conseil, sans greffe. La confidentialité est de mise, sauf impérieuses raisons d’ordre public. Les pouvoirs « d’instruction » du juge de l’ARA sont étendus : prise de connaissance des écritures et pièces, reconstitutions (avec transport sur les lieux, si nécessaire), audition des parties, séparément et ou avec leur conseil. Les juges, déjà débordés, auront-ils-le temps, l’énergie et l’appétence de se livrer à de telles investigations ?
C. Issue de l’ARA
1. Le juge peut mettre fin à l’ARA à tout moment
Sa décision est une mesure d’administration judiciaire. Il en informe le juge saisi du litige, pour permettre la reprise de l’instance sur le fond.
2. A l’issue de l’ARA, les parties peuvent demander au juge de constater leur accord, total ou partiel
Un procès-verbal consignant l’accord est signé par le juge et les parties (art. 130 CPC). L’extrait du procès-verbal vaut titre exécutoire. Ce procès-verbal, relevant à la fois de l’office conciliatoire du juge et d’un accord des parties, n’est pas un jugement et n’est pas susceptible de recours. Le juge exerce cependant un contrôle a minima (sur l’existence de l’accord, la réalité du consentement, la conformité à l’ordre public).
D. Commentaires
L’accueil des premiers commentateurs est favorable. Les principes posés sont cohérents et pragmatiques. En pratique, un fort impetus du terrain sera indispensable au succès de la réforme. L’effectivité de l’ARA dépendra largement de la façon dont le monde judiciaire largo sensu s’en empare. Au-delà des règles procédurales, des usages (assouplissement du principe du contradictoire), une évolution des mentalités et un temps d’adaptation seront nécessaires. Un premier bilan utile de l’ARA ne saurait intervenir avant quelques années.
II. La césure du procès (art. 807-1 à 807-3 du CPC)
La césure consiste pour les parties à scinder leurs prétentions, le tribunal judiciaire ne rendant, dans un premier temps, qu’un jugement partiel. La césure est pratiquée aux Pays Bas et en Allemagne.
Le cas de figure classique est celui d’un premier jugement tranchant le principe de la responsabilité, les parties négociant dans un deuxième temps, amiablement, les conséquences indemnitaires, le cas échéant grâce à une médiation. À défaut d’accord, les parties reviennent devant le juge qui rendra un second jugement sur la réparation du préjudice. Avec la césure, le demandeur peut éviter les aléas d’une expertise (publique, trop souvent coûteuse, aléatoire, lente) et espérer négocier une réparation dans de bonnes conditions.
A. Les étapes procédurales
1. La décision de césure appartient aux parties
Le juge ne peut la décider d’office. À tout moment, les parties peuvent demander au juge de la mise en état la clôture partielle de l’instruction. Elles produisent à l’appui de leur demande un acte contresigné par avocats, mentionnant les prétentions pour lesquelles un jugement partiel est sollicité (art. 807-1 CPC).
2. Les conséquences de la césure
La césure entraîne une mise en état partielle. Le juge ordonne la clôture partielle de l’instruction et renvoie l’affaire pour un premier jugement. Ce dernier peut être assorti de l’exécution provisoire, ordonner le versement d’une provision, prescrire une mesure d’instruction ou une médiation.
Le jugement partiel peut faire l’objet d’un appel, selon la procédure du bref délai. La mise en état reste pendante pour les prétentions soumises à la seconde phase de l’instance non tranchées par le jugement partiel (réparation du préjudice).
B. Issue de la phase amiable
Si les parties parviennent à un accord sur les conséquences du jugement partiel, le juge de la mise en état a le pouvoir d’homologuer l’accord (art. 785 CPC) et de constater l’extinction définitive de l’instance.
À défaut d’accord, l’instance se poursuivra devant le juge de la mise en état. Le tribunal rendra un second jugement sur les conséquences du premier jugement ; l’autorité de la chose jugée de ce dernier s’impose.
C. Commentaires
Les premiers commentateurs sont très critiques sur la césure et mettent en gardent contre le syndrome de « l’usine à gaz ». Le Centre National des Barreaux, la Conférence des bâtonniers, le Syndicat de la Magistrature dénoncent un risque de complexification de la procédure, craignent la multiplication de guérillas procédurales artificieuses, un danger d’allongement des procédures. La réforme Magendie qui était censée accélérer les procédures, a laissé de mauvais souvenirs… Les goulots d’étranglement se situent souvent au stade de la quantification des préjudices ou de l’expertise.
III. Remarques conclusives : la révolution de l’amiable est en marche
L’amiable préalable est désormais posé comme une règle procédurale, un principe efficient de gestion de conflit, un droit du justiciable. Pour de nombreuses raisons (budgétaire, soft power judiciaire, enjeux de globalisation – Doing business – convergences des systèmes juridiques), l’amiable a vocation à se développer, en France comme à l’étranger. La médiation opère une révolution copernicienne. Le justiciable, l’entreprise, cessent de tourner autour du palais et des praticiens, le droit et la procédure ne sont plus l’alpha et l’oméga du règlement des conflits.
Si le décret du 29 juillet constitue une étape importante du grand chantier de la modernisation de notre justice, cela ne signifie aucunement que le contentieux judiciaire traditionnel ou l’arbitrage vont disparaitre. Ils restent incontournables et indispensables. Il revient au conseil d’éclairer son client sur l’ensemble des possibles et options procédurales, de piloter le dossier de façon efficace, dynamique, en gardant à l’esprit les enjeux et besoins stratégiques à long terme.
A. L’amiable fortement encouragé
Depuis la loi du 8 février 1995 (art 131-1 s CPC), de nombreuses réformes ont élargi le champ de l’amiable. Il n’est pas simple d’y voir clair dans le maquis des empilements de textes. Sur le terrain, de nombreux magistrats, juridictions incitent les parties et leurs conseils à tenter une conciliation ou médiation.
L’arrêté du 25 mai 2023 a mis en place un Conseil National de la Médiation chargé de rendre des avis et recommandations. Le 26 mai 2023, le Garde des sceaux a par ailleurs nommé neuf « ambassadeurs de l’amiable » pour mieux faire connaître les nouveaux outils et inciter les professionnels à les utiliser. Monsieur Fabrice Vert (premier vice-président du tribunal judiciaire de Paris, pionnier et infatigable croisé de l’amiable depuis plus de 20 ans) et Madame Soraya Amrani-Mekki (professeur agrégée des facultés de droit, enseignante-chercheuse à l’Université de Paris Ouest) font partis de ces ambassadeurs.
B. Rien à perdre, tout à gagner !
Les avantages de la médiation sont connus ; rapidité (quelques mois, voire quelques semaines pour trouver un accord), confidentialité, simplicité, souplesse, caractère non contraignant, économie, contrôle du processus par les parties. Elle permet de préserver (voire développer) les relations d’affaires entre les parties ; favorise les solutions ‘gagnantes-gagnantes’. « In the middle of every difficulty lies opportunity », disait Albert Einstein. Autres avantages induits, le choix intuitu personae d’un médiateur idoine et l’implication en amont des décideurs, favorisant une analyse transverse du dossier. Le taux de réussite de l’ordre de 75 %. Les accords trouvés sont dans l’immense majorité des dossiers exécutés spontanément, du fait de l’appropriation par les parties de la solution, expression de leur volonté. Les preuves fatiguent la vérité !
L’amiable n’est pas synonyme d’improvisation, naïveté et bons sentiments bécassins. C’est une technique exigeante, un processus très intense. Il est fondamental de se préparer, connaitre les argumentaires, contre-argumentaires, les enjeux, sa BATNA (Best Alternative To a Negotiated Agreement), anticiper, se concerter avec les opérationnels, son avocat (avant, pendant et au terme de la médiation pour la rédaction du protocole transactionnel). Cela implique aussi un travail sur soi, savoir se mettre en capacité d’écoute de l’autre, de son ressenti. “The problem with communication is the illusion that it has occurred” (George B Shaw).
Au cœur de la médiation, on trouve une technique puissante, la négociation dite intégrative ou raisonnée (école de Harvard, précédée par un pionnier français, François de Callières, De la manière de négocier avec les souverains, 1716). Avec le médiateur, les parties négocient de façon ouverte sur leurs intérêts plutôt que sur des positions et reconstruisent une relation de travail. 4 principes résument l’approche : (1) En ce qui concerne les acteurs, traiter séparément les questions de personnes et les différends. Cela implique bonne foi, transparence, échanges d’informations constructifs, bannissant coercition, bluff et menaces. (2) Donner la priorité aux intérêts en jeu, plutôt qu’aux positions. Les intérêts sont les moteurs silencieux de l’action. (3) La recherche de solutions susceptibles d’apporter un avantage mutuel en procédant à un examen aussi large (latéral) que possible des enjeux et besoins. (4) Le recours à des critères objectifs pour favoriser les adhésions réciproques.« It isn’t that they can’t see the solution. It’s that they can’t see the problem » (G K Chesterton).
Pour les magistrats, comme les avocats, l’amiable est une opportunité, l’occasion de sortir des codes, d’enrichir une pratique professionnelle parfois routinière. L’amiable élargit le champ des compétences et permet d’offrir aux justiciables, aux entreprises, en complément de l’expertise procédurale, talents oratoires, des approches alternatives, des outils puissants et innovants de résolution des différends.
Qu’il s’agisse de rédaction de clauses contractuelles, de négociation, de contentieux judiciaire, d’arbitrage (commercial, d’énergie, d’investissement), de MARD, rien ne remplace l’expertise de conseils spécialisés. Nos équipes, à Paris (Squire Patton Boggs, 7 rue du Général Foy 75008) ou dans 42 bureaux sur 4 continents, restent à votre écoute, à vos côtés, en permanence, pour vous conseiller, négocier, plaider, défendre vos intérêts.