
« Débâcle : Changement fâcheux qui emporte la fortune d’un particulier, la prospérité d’un gouvernement, les opinions, les mœurs, comme la débâcle emporte les glaces de la rivière » (Littré). Emmanuel Goldorak n’aime pas subir : « Action-Transformation-Dissolution ». Tout le monde veut une rupture, du changement, des mesures fortes, tirer les Macron du feu. Nous sommes servis ! Après le grattage des Européennes, le tirage des Législatives. Ambiance La Dernière classe (Daudet) et les décomptes du lundi…
L’avis devant soi
Le saut à l’élastique sans élastique, c’est risqué. Les Gaulois réfractaires peinent à comprendre le billard à quinze bandes, le génie manœuvrier du Président de la République. Dans l’avion, de retour d’Oradour-sur-Glane, il peaufine « une synthèse dans le sens d’une radicalité ambitieuse », rêve au soleil d’Austerlitz, au 6 juin 44. « Français, je suis content de moi ! ». Sois sage Omaha douleur et tiens-toi plus tranquille… À 25 kilomètres au sud de Bruxelles : Waterloo. « Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine (…) Le soir tombait, la lutte était ardente et noire ; Il avait l’offensive et presque la victoire ; Le centre du combat, point obscur où tressaille ; La mêlée, effroyable et vivante broussaille (Hugo). Le Premier ministre a un plan, trois axes pour une remontada vers les plateaux de Pratzen et TFI, rebondir après sept ans de pouvoir : « Garder le contrôle de notre destin, libérer le potentiel français et réarmer notre pays ». Que d’aveux.
Au Panthéon, aux Invalides, dans la phraséologie, des gouvernements de rencontre, prêchent la rupture dans la continuité, la continuité dans la rupture, miment l’autorité, le pouvoir, un destin commun. Les Colbert en carton-pâte, Louvois 2.0, mouches du coach, modernisent la bureaucratie, changent de réforme, réforment le changement. Encalminé dans le management, les PowerPoint, l’efficiency, l’Etat se suicide en état de légitime défense : ubérisation de l’administration, suppression des grands corps… Un monde sans incarnation, sans volonté ni représentation. « Le caractère des Français demande du sérieux dans le souverain » (La Bruyère).
In « media » stat virtu. La Com sans stratégie, sans programme, sans potion magique, les mots creux qu’on dit avec les bleus ; c’est calamiteux. Le chantage à l’extrémisme, l’instrumentalisation des camarillas politicardes, de la chienlit, les surenchères, Tartufferies, la démagogie, se nourrissent, s’entre-dupent, alimentent l’incendie de la guerre civile. A un mois des JO, en mondovision, les zizanies, la course aux maroquins, le mercato des parachutages, bal des traitres dénonçant les reîtres vendus aux collabos, salissent l’image du pays, abîment la politique.
« Monsieur de Camper racontait qu’un missionnaire peignit l’enfer de si ardente façon à une communauté de Groenlandais, et tant parla de sa chaleur, que ceux-ci commencèrent d’éprouver le désir d’y aller » (Lichtenberg). Le suffrage universel menace pour la démocratie ? Ça devient compliqué…
Les moulins de nos cœurs
Par-delà les éthers, dans l’empyrée et l’hypnose, peu importe le réel, le possible, le comment : seuls comptent la pureté des idées et les bons sentiments. L’ignorance rend hardi. « J’en ai marre – marabout – bout d’ficelle… ». Les hamsters du monde d’après pédalent dans une roue à fantasmes, transforment les anchois avariés en produits exotiques, se gargarisent de touslemondisme, mots-valises : citoyen, inclusif … Dans l’entre-soi, le flou, ils squattent un néant aseptisé baptisé « diversité ». Baygon vert ou Baygon rouge ? L’agenda libéral-libertaire brasse les simulacres : ochlocratie, pléonexie, cyrénaïsme, éradication du passé et de la culture, métamorphose des jeunes générations en zombies numériques et consommateurs lotophages. L’important c’est d’errer.
Au Mondial Moquette du tout à l’égo intersectionnel, c’est l’hallu finale. Tout est possible, rien ne vaut rien, tout est à vendre : fantasmes, épectase, excuses, pour tous. Envieux, quérulents, sans programme ni arguments, ils exècrent le travail, le mérite, veulent des coupables. Ils pourchassent les mauvais esprits, censurent, déconstruisent, déboulonnent, réécrivent le passé selon leur idée de la vertu. Une pierre à la main ils guettent le sommet, de l’autre ils font l’aumône, exigent une allocation universelle. « Le délire est plus beau que le doute, mais le doute est plus solide » (Cioran). Un seul Maistre vous manque et tout est dépeuplé.
Sous perfusions, régimes spéciaux, résilient, le monde de la culture ne lâche rien, dénonce les crispations, le nauséabond, le toxique. A Cannes, Malmö, Avignon, dans les cours d’honneur, le maquis des espaces de création, les tracts, au Collège de France, sur les formes scintillantes, sur chaque main qui se tend, sur les lèvres attentives, le teint frais et la mine vermeille, ils écrivent la liberté. Les artistes auscultent les habitus, les transfuges de classe, l’autofriction, cherchent leurs mots, le buzz, des sponsors. Au creux des lits, ils font des rêves. Sifflez, compagnons, dans la nuit la liberté vous écoute.
Rebondir
La communauté est réduite aux aguets. La France partage un secret avec Maître Cornille (Lettres de mon moulin). Fini les farandoles et sérénades. À l’étranger La Voie française fait éclater de rire. Marianne a vendu sa croix d’or, ses sacs de farine sont remplis de plâtre. Elle a mis son histoire, sa culture, son Etat, sa langue au mont-de-piété. Lorsque l’avenir est plombé, les fantasmes, fantômes, fantoches ressurgissent. « Lorsqu’une nation prend mauvaise conscience, elle est prête à s’effondrer » (Ellul).
Sur l’essentiel, les enjeux civilisationnels, la nature arraisonnée par la technique, la crétinisation numérique, l’emprise totalitaire de l’IA, les transgressions généalogiques, les choreutes cabriolent dans le nudge, le recyclage, le circulaire, les sophismes, les mantras : « écoresponsable », « carboneutralité », « trottinettes à hydrogène »… Ils fantasment une Europe assistance -couteau sans lame auquel il manque un manche- plus protectrice et puissante que la Madonna del Parto de Piero della Francesca.
Les défaites sont rarement étranges. La débâcle vient de loin. L’abstentionnisme, le poujadisme, la désespérance ne sont pas les fruits amers d’un discours churchillien de vérité, jamais tenu, mais la résultante de mensonges séculaires sur le fantasmagorique « modèle français ». Le gouvernail ne peut agir qu’à la condition que le navire soit encore en mouvement. En proie aux mutineries permanentes, piloté par des pachas d’opérette, sans carte, boussole, ni ligne d’horizon, comment arriver à bon port ?
Une certitude : pas de salut dans les postures, prélatures, poutures, forfaitures. Pas de rebond sans un diagnostic clinique des maux qui gangrènent le pays : déficits abyssaux, insécurité, déclassements, écroulements éducatif, culturel, économique, diplomatique. Pas de salut sans courage de dire les vérités déplaisantes, sans mesures impopulaires, sans tempêtes ni sacrifices. Faire toujours la même chose et attendre un résultat différent, c’est suicidaire. « Le vrai vaut toujours mieux, aussi maigre soit-il » (Léonard de Vinci).
Quelle résistance opposer à cet alignement des désastres ? Quelle ligne de fuite ? Port-Royal ? Les regrets et les pleurs ? Des sarcasmes mouchetés de mélancolie ? L’exercice d’une lucidité condamnée n’interdit pas d’allumer des pétards sous les pieds des Tartuffe. L’homme est un animal social. L’union sacrée, c’est par où ? Marianne habite au pays des merveilles. Le talon d’Achille de La France irréelle (Berl) c’est une incapacité presque atavique à rectifier le cap, à réformer à froid, dans un minimum de consensus. Trop souvent la France ne se relève qu’après les déculottées militaires ou politiques (1815, 1871, 1945…).
Notre histoire est une foire d’empoigne. Le pays a connu des crises, des temps difficiles et a su retrouver son unité, son rayonnement et sa grandeur ! Haut les cœurs !