C’était un rapport très attendu, tellement attendu qu’il a été révélé avant sa remise officielle au Président de la République. Le rapport de la Commission Attali sur la libération de la croissance avec ses trois cent propositions (qu’il appelle « décisions ») veut remédier à l’état de sclérose dans lequel se trouve la France.
Les professions juridiques ne sont pas oubliées, et une modification de leur fonctionnement doit contribuer à la libération de la croissance. Le rapport Attali leur consacre 5 propositions [214 à 217] visant les avocats au Conseil, les avocats, les liquidateurs de justice, les notaires et les avoués.
Dans le chapitre consacré aux professions juridiques, la Commission note l’urgence de réformer « les professions réglementées dans l’univers du droit », qui « sont restées à l’abri plus que toute autre activité économique, des transformations du monde qui nous entoure. » La Commission dénonce le poids particulier des traditions, et les « modes d’organisation économiques hérités du passé que plus rien ne justifie aujourd’hui et sans lien avec le contrôle légitime de la compétence des professionnels et la surveillance de leurs activités. »
Le décloisonnement de certaines professions juridiques est envisagé dans le but d’une « plus grande efficacité du système judiciaire, […] de meilleures conditions de performances des professionnels de du droit […], une meilleure intégration dans les échanges internationaux, un accès moins coûteux à la justice et une circulation plus rapide des actifs. » La légitimité de ces mesures et leur réel effet sur la croissance est à l’appréciation de chacun, il n’en reste pas moins qu’une restriction de l’offre constitue un frein au développement et à l’innovation.
Les premiers visés sont les avoués près les cours d’appel (au nombre de 444 regroupés en 235 offices) dont la Commission Attali propose la suppression pure et simple. La profession d’avoué a été instaurée par la loi du 27 ventôse an VIII dont l’article 93 disposait :
« il sera établi […] près chaque tribunal d’appel […] un nombre fixe d’avoués, qui sera réglé par le Gouvernement, sur l’avis du tribunal auquel les avoués devront être attachés. »
L’article 94 continuait « les avoués auront exclusivement le droit de postuler et de prendre les conclusions dans le tribunal auquel les avoués devront être rattachés. »
Le monopole des avoués concernant les actes de procédure près les tribunaux de grande instance a été supprimé en 1971, moyennant une indemnisation. La proposition 213 du rapport Attali se veut une continuation logique de la réforme de 1971 visant à une meilleure adéquation avec la réalité juridique. En effet, dans la grande majorité des cas les avoués ne rédigent plus les conclusions en appel, cette tâche revenant à l’avocat. Le rapport pointe par ailleurs, le « surcoût artificiel à l’accès à la justice » créé par les honoraires des avoués, ceux-ci étant liés au montant du litige et perçus indépendamment de l’issue de la procédure. Cette réforme faisant disparaître les avoués, le rapport propose de leur permettre d‘intégrer le corps des avocats.
Les suivants sont les administrateurs et les mandataires judiciaires qui interviennent dans le cadre des procédures collectives. Ces derniers sont référencés sur des listes professionnelles à partir desquelles les tribunaux de commerce les désignent. La décision 214 se décline en trois sous propositions.
- La première est d’offrir la possibilité aux tribunaux de commerce de recourir à des professionnels extérieurs aux listes professionnelles.
- La deuxième est de mettre à la charge du parquet près les tribunaux de commerce un contrôle automatique des conditions de désignation des mandataires et administrateurs judiciaires afin de mettre un terme aux situations de monopole de fait entre certains tribunaux et certains mandataires et administrateurs.
- La troisième consiste à permettre l’échevinage des formations afin « d’atténuer les dysfonctionnements qui subsistent encore dans ce domaine », (sic)..
La « décision » 215 s’attaque au monopole des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Leur nombre (93 répartis dans 60 cabinets, tous parisiens ?) n’a pas changé depuis l’ordonnance du 10 septembre 1817 disposant « le nombre des titulaires est irrévocablement maintenu à soixante ». Propriétaires de leurs charges, ils ont le monopole de la représentation devant la Cour de cassation (article 657 NCPC), et devant le Conseil d’Etat. L’accès à cette profession requiert un examen de qualification de haut niveau. La commission Attali propose de supprimer le numerus clausus, et d’ouvrir plus largement l’examen de qualification aux avocats désirant se spécialiser dans ces procédures, en associant au jury des avocats, magistrats et professeurs d’universités. Sûrement cette proposition s’inscrit t-elle dans une dimension internationale, le rapport faisant mention de l’absence de numerus clausus dans les autres pays développés pour les avocats autorisés à agir devant les juridictions suprêmes.
La proposition 216 concerne les professions délégataires d’une mission de service public, à savoir les notaires, huissiers de justice et greffiers des tribunaux de commerce.
Les notaires sont répartis en 4500 offices et 130 bureaux annexes, avec un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros !! (presque autant que le bénéfice 2007 de Mittal-Arcelor et la perte de la Société Générale !). Leur statut date de la loi du 25 ventôse contenant organisation du notariat. Les autorisations d’ouverture des offices sont fixées par arrêté du Garde des Sceaux, et les pouvoirs publics fixent les tarifs d’intermédiation immobilière.
La commission Attali considère qu’il « est devenu obsolète de maintenir des restrictions à l’offre de services notariés » compte tenu de l’augmentation des besoins de services juridiques personnels liés au vieillissement de la population, à la multiplication des divorces (1 mariage sur deux à Paris, 1 mariage sur trois au niveau national), et à la diversification des formes d’organisation patrimoniales (homoparentalité, concubinage homosexuel, etc…)
Pour mettre en phase l’offre et la demande, la commission Attali propose « d’ouvrir totalement l’accès à la profession à tout détenteur d’un diplôme spécifique, en ne maintenant que les exigences de qualification » (notaire avec un M2 ?) Les offices réalisant un nombre d’accès supérieurs à la moyenne seront taxés (encore une taxe), dont la recette alimentera un fonds destiné à « subventionner les notaires installés dans les zones moins rémunératrices » afin d’assurer une présence homogène des notaires sur le territoire. Enfin la commission Attali propose de supprimer les tarifs réglementés et de les remplacer par des tarifs plafonds, et d’autoriser le rapprochement des études de notaires et des cabinets d’avocats.
La situation des huissiers de justice est similaire à celles des notaires, ils bénéficient d’un monopole de la signification des actes et exploits et de l’exécution des décisions de justice. Il existe un numerus clausus de fait caractérisé par la création de nouveaux offices par le garde des Sceaux. La commission propose de faire application des mêmes propositions faites pour les notaires, à savoir une ouverture totale de la profession.
Le greffier est un professionnel libéral nommé par le garde des Sceaux, qui exerce sous surveillance du Ministère Public, ce qui est « une étrangeté héritée de la mise en place des juridictions consulaires il y a un siècle ». Les greffiers participant au fonctionnant du service public de la justice assurée par l’Etat dans toutes les juridictions, même dans les tribunaux de grande instance à compétence commerciale, la commission Attali propose de supprimer ces « greffiers privés » et de les remplacer par des services administratifs spécialisés.
La dernière proposition Attali (n°217) sur les professions juridiques concerne les modes d’organisation économique des avocats, experts comptables et commissaires aux comptes, afin entre autre de favoriser la concentration des cabinets français face aux cabinets anglo-saxons (patriotisme économique ?)
La législation en vigueur exige que les avocats se constituant en société détiennent la totalité des parts sociales, ce qui limite le recours à des capitaux extérieurs. La commission Attali préconise de permette à des tiers d’investir dans les fonds propres de cabinets d’avocats, d’experts-comptables et de commissaires-priseurs en imposant une détention minimale de 51% du capital et de droits de vote par les professionnels travaillant dans ces structures.
En outre, le rapport préconise le maintien du respect strict des règles déontologiques applicables aux avocats, experts comptables et commissaires aux comptes en termes de confidentialité et de conflit d’intérêts.
Le rapport a essuyé de nombreuses critiques, notamment de la gauche, entre autre pour son prétendu penchant libéral. Il n’en est rien concernant les professions juridiques, que le rapport tente seulement de réajuster à la demande diversifiée et aux besoins des citoyens que nous sommes.