Le juriste ne peut s’empêcher de penser, en lisant une Loi datée du 4 août 2008, à cette nuit du 4 août 1789 où les députés réunis à Versailles décidèrent d’abolir tous les privilèges et droits féodaux, instaurant l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Ainsi, « désormais en France, la loi sera unique pour tous et pour chacun ». En ce début de 21ème siècle, nous rêvons parfois qu’unicité rime avec stabilité de la Loi, face à cette nouvelle vague de réformes estivales. Ainsi, en droit des sociétés, à une évolution des structures sociétaires viennent s’ajouter un changement de régime des fusions et des règles de gouvernance des sociétés faisant appel public à l’épargne, dont il convient de prendre la mesure.
I. Evolution des structures sociétaires
La Loi du 4 août 2008 (dite « LME ») restera sans doute dans les mémoires comme celle ayant enfin réalisé la société par actions simplifiée, voulue par ses initiateurs comme une forme de modèle type de la société commerciale.
Ainsi, à compter du 1er janvier 2009, le capital social minimal de 37.000 euros est remplacé par un « montant du capital social fixé par les statuts » (C. com., art. L. 277-2), l’obligation d’informer les actionnaires sur le nombre total de droits de vote après l’assemblée ordinaire étant supprimée.
Pour la SASU dont l’associé unique personne physique est également son président, celui-ci est dispensé de dépôt au greffe du rapport de gestion qui « devra être tenu à la disposition de toute personne qui en fera la demande » (C. com., art. L. 232.23) et peut approuver les comptes par procédure simplifiée de dépôt au RCS, dans les six mois de la clôture de l’exercice, « de l’inventaire et des comptes annuels dûment signés » (C. com., art. L. 227-9, al. 3). Ce dépôt simplifié des comptes est sans doute une fausse bonne idée : déposer l’inventaire risque de porter atteinte au secret des affaires et ne dispense pas le président du dépôt de l’affectation des résultats au greffe. L’utilité de la réforme semble donc se discuter.
Plus étonnante est l’introduction des actions inaliénables d’apports en industrie. « La société par actions simplifiée peut émettre des actions inaliénables résultant d’apports en industrie tels que définis à l’article 1843-2 du Code Civil » (C. com., art°L 227-1) dont les statuts, lors de la constitution de la société ou durant son existence, vont déterminer les modalités de souscription et leur répartition. Par définition, ces actions ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent droit au partage des bénéfices et de l’actif net, à charge de contribuer aux pertes. Elles devront être réévaluées après un délai fixé par les statuts.
Cette évaluation, qui peut sembler étonnante dans la mesure où la valeur d’un apport s’apprécie généralement au coût historique, a justement pour objet de tenir compte d’une éventuelle évolution de la valeur de l’apport. Cette technique est inspirée du droit financier qui a déjà admis la rémunération d’apports en nature par des actions d’apport à valeur variable, sous réserve d’une validation de la méthode de variation par un commissaire aux apports. Transposant cette logique, on pourrait imaginer des clauses de variation statutaires dans des hypothèses qui s’y prêtent.
En ce qui concerne le contrôle des comptes, la nomination d’un commissaire aux comptes ne serait obligatoire que pour les SAS dépassant, à la clôture d’un exercice social, deux de seuils suivants (à fixer par Décret du Conseil d’Etat) : total du bilan de 1.000.000 d’euros, chiffre d’affaires hors taxe de 2.000.000 d’euros ou nombre moyen de salariés au cours de l’exercice supérieur à 20 . Si ces chiffres sont confirmés, ils seraient notoirement en dessous de ceux de la SARL et imposeraient un commissaire aux comptes plus rapidement dans les SAS que dans les SARL. Cette dispense ne concerne pas « les SAS qui contrôlent, au sens des II (contrôle conjoint) et III (contrôle exclusif), de l’article L. 233-16, une ou plusieurs sociétés, ou qui sont contrôlées, au sens des mêmes II et III, par une ou plusieurs sociétés ».
Pour la société anonyme, la réforme est plus ponctuelle. A compter le 1er janvier 2009, seuls les statuts pourront imposer aux administrateurs ou membres du conseil de surveillance la détention d’un nombre minimum d’actions. Le délai pour régulariser la situation en cas de violation de l’obligation statutaire sera de 6 mois. Les sociétés devront mettre leurs statuts en conformité par rapport à cette nouvelle règle (liberté ou contrainte statutaire).
Très débattu par la doctrine au titre des accords intuitu personae non transmissibles, le régime des droits de vote double en cas de fusion est modifié pour instituer une neutralité de la fusion, sauf stipulation contraire des statuts de la société ayant attribué le droit de vote.
A compter le 1er janvier 2009, le Conseil d’Administration peut également déléguer au Directeur Général ou, en accord avec ce dernier, à un ou plusieurs directeurs généraux délégués les pouvoirs pour constater, dans le mois qui suit la clôture de l’exercice, le nombre et le montant des actions émises à la suite de levées d’options et apporter les modifications nécessaires des statuts.
Pour les SARL, la Loi valide le recours à la visioconférence sur le modèle applicable dans les SA et retient, au même titre que pour les SAS, une procédure simplifiée d’approbation des comptes en présence d’un associé unique.
II. Changement de régime des fusions
Dans l’ordre des fusions internes, les actionnaires des sociétés participant à une opération de fusion peuvent écarter la désignation d’un commissaire à la fusion par décision prise à l’unanimité. Cette contrainte d’unanimité de tous les actionnaires des sociétés impliquées dans l’opération limite fortement l’intérêt de cet assouplissement.
Dans l’hypothèse d’une fusion comportant « des apports en nature ou des avantages particuliers, un commissaire aux apports est désigné » si la nomination d’un commissaire à la fusion a été écartée (C. com. Art. L. 236-10, I). La suppression du commissariat aux apports est totale en cas de fusion simplifiée entre une SA et sa filiale, également SA, détenue à 100% par celle-ci. Comme précédemment, il n’y a pas lieu non plus, dans ce cas, à l’approbation de la fusion par la collectivité des associés ou à rapport des dirigeants.
Pour les fusions transfrontalières, le législateur retient le principe général d’une application des règles internes, avec quelques spécificités qu’il importe de noter. Ainsi, la fusion transfrontalière autorise le versement d’une soulte en numéraire supérieure à 10% du nominal des titres, lorsque la législation d’au moins un état concerné le permet. Outre le fait que cette règle contraint à des vérifications très précises quant au droit applicable, cette innovation est d’un intérêt limité en l’absence de neutralité fiscale.
Ces fusions comportent également un régime spécifique concernant la date d’effet de la fusion, laquelle se situe, en cas de création de société nouvelle, à la date d’immatriculation de la société au RCS et, en cas de transmission de société existante, entre la date du contrôle de légalité par le greffe et la clôture de l’exercice en cours de la société bénéficiaire. La Loi ne comportant aucune disposition spécifique sur ce point, il semble possible de transposer la clause de rétroactivité fiscale et comptable de la fusion, sous réserve de validation par les autorités administratives sur ce dernier point. Il faudra vérifier.
III. Les règles de gouvernance des sociétés
Dans les sociétés faisant appel public à l’épargne, le rapport du Président sur le gouvernement d’entreprise, doit indiquer, outre la composition, l’organisation et les conditions de préparation des travaux du Conseil, le code de gouvernement d’entreprise auquel la société a choisi de se référer ou, le cas échéant, les pratiques de gouvernement d’entreprises mises en place par la société lorsqu’elle a choisi de ne pas appliquer un code spécifique.
La mise en œuvre de cette disposition est délicate faute pour le droit français d’avoir adopté un « véritable » Code de gouvernement d’entreprise. Existent, bien entendu, des travaux AFEP-MEDEF. Mais d’autres codes sont aussi envisageables, comme celui de l’ICGN ou de l’OCDE.
Le mystère ne s’éclaircit pas tellement dans le contexte actuel lié à la crise financière. Le 6 octobre 2008, Laurence Parisot, présidente du MEDEF et Jean-Martin Folz, président de l’AFEP, ont présenté leurs « Recommandations sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux de sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ».
Inquiet de la problématique des rémunérations de dirigeants, le Gouvernement a adressé une communication à l’issue du Conseil des ministres du 7 octobre 2008 précisant que ces « recommandations ont vocation à faire partie intégrante du code de gouvernement d’entreprise, prévu par la loi du 3 juillet ». L’information est d’importance, mais ne résout pas véritablement le problème du code de référence dont il est question. Dans ce contexte de renforcement réglementaire à l’égard des rémunérations des dirigeants, un peu plus de clarté aurait été souhaitable. Affaire à suivre…