La résolution traditionnelle des conflits au Mali, depuis les siècles qui ont précédé la civilisation arabo–islamique et plus récemment malgré l’apport de la civilisation occidentale, s’est toujours effectuée sur les valeurs et règles endogènes des traditions maliennes. Elle constitue le préalable à toute résolution judiciaire.
La pluralité humaine du Mali, qu’on peut aisément constater par l’énumération des ethnies, est évidente. Mandingues, Peuhls, Bambaras, Soninkés, Sonrais, Bozos, Manyankas, Senoufos, Bwas, Dogons, Touaregs, Maures, Arabes, … (sans être exhaustif.), parlent chacun leur dialecte ou langue.
De cette diversité sociologique résulte une occupation irrégulière et inégalitaire du territoire national (environ : 1.240.000 km² ), entraînant des conflits ouverts ou latents.
Afin de pérenniser la paix et prévenir les conflits, les premiers fondateurs de l’empire du Mali (1236) ont établi des moyens matériels et immatériels pour la paix mais aussi pour la stabilité de l’empire, dont le Mali hérite aujourd’hui.
Les valeurs qui s’attachent au dialogue, à la tolérance, l’hospitalité et à la non-violence sont les fondements des traditions maliennes. Les réunions des chefs de famille sous l’arbre à palabre, dirigées par le chef de village, font souvent encore aujourd’hui, office de Tribunal local, dont les décisions sont souvent plus suivies que celles des autorités administratives et judiciaires. Ceci s’explique par le fait que lesdites décisions émanent des villageois eux-mêmes ; parce qu’au conseil du village tout le monde occupe, selon son statut, le même rang.
Dans cet article nous exposerons pour éclairer nos lecteurs qui ne connaîtraient pas le Mali traditionnel (même si beaucoup doivent avoir entendu parler des falaises du Bandiagara au pays Dogon, qui sont aussi le Mali) les différents conflits et litiges qui ont marqué l’ensemble traditionnel malien et ceux actuels(1) et les moyens de résolution traditionnels et modernes (2)
1- Les différents conflits et litiges qui ont marqué l’ensemble traditionnel malien et ceux qui surviennent aujourd’hui :
Sont généralement admis dans l’histoire du Mali, ces conflits qui ont sensiblement marqué la mémoire des historiens et du peuple malien d’hier et d’aujourd’hui, d’une part :
- les guerres d’expansion, guerres défensives ou de libération.
- les guerres de razzia et de rapine, dans les régions nord du mali, menées par les tribus touarègues, sont des cas que les empires successifs et les Etats post–coloniaux ont gérés. Ces conflits sévissent toujours dans le nord du Mali et encore ces dernières semaines, hélas !
- les conflits intra-familiaux (fadenkélé) caractérisés par les irréductibles antagonismes entre les enfants d’un même père
D’autre part, de nos jours d’autres formes de conflits sont apparues :
- Entre les particuliers et les villages :
oles litiges, concernant les contestations foncières et ceux relatifs aux affrontements entre bergers et sédentaires par rapport à la pâture des animaux sur les champs de culture de ces derniers,
oles litiges d’héritage et matrimoniaux qui sont les plus répandus dans les zones rurales.
- Dans les grandes villes on retrouve les genres de conflits et de litiges que connaissent tous les centres urbains africains : conflits politiques, sociaux-économiques…
Pour circonscrire ces conflits des moyens ou solutions ont été trouvés selon les normes et valeurs qui sous-tendent la société malienne. Ils servent aussi bien dans les différends entres communautés que dans ceux opposant des particuliers
2- Les moyens de résolution traditionnels
La tradition s’est plus appesantie sur la prévention que sur la résolution du conflit ouvert, comme le dit un proverbe bambara (la langue nationale la plus répandue au Mali ) « bana kunben ka foussa ni bana foura kè » : Prévenir vaut mieux que guérir. Du coup la recherche de la paix reposait sur les principes suivants : on cherchait à prévenir les conflits par des canaux de régulation sociale ou par des actions de médiation ou de communication. Le recours à la guerre était de dernière option pour faire cesser le conflit.
En effet il est constant que les traditions maliennes ont plutôt une approche dynamique, communautariste et humaniste, fondée sur la solidarité et, permettez-moi le barbarisme, l’ « unisme–humain », car c’est le mot qui me paraît le plus approprié pour rendre le sens bambara du « kélenya ». Ce concept malien traduit les mécanismes et règles qui permettent à l’homme de considérer son prochain comme lui-même et est différent du concept d’égalité et de fraternité à l’occidentale. Dudit concept, découlent tous les mécanismes de prévention et de résolution des conflits au Mali, qui différent selon la communauté ou par le passé selon les royaumes ou les entités organisées (empires), dont voici les principaux.
Dans les rapports au sein d’un village ou d’un quartier d’une grande ville
Le chef de village ou de quartier est l’autorité morale qui tranche tous les litiges et conflits qui arrivent dans ses limites territoriales. Pour cela il est assisté de son conseil. C’est seulement en cas de non-satisfaction que les populations ont recours aux tribunaux. Lesdits litiges et conflits sont de tous genres (matrimonial, partage successorale, fonciers, réclamation de créances, vols, querelles… etc.).
Dans les communautés et les entités organisées
S’allier pour prévenir les conflits
Les sociétés maliennes à la base sont claniques. Pour les parties, les alliances constituent l’espoir de prévenir les conflits et de maintenir l’entente sociale ; c’est une sorte de contrat social pour la paix.
– Le mariage inter clanique ou inter entités et la polygamie forment des liens de sang qui réduisent les risques de conflits.
– Le « synankouya » ou « cousinage à plaisanterie », « alliance à plaisanterie » ou même « fraternité à plaisanterie vexatoire ».
Ici on utilise des plaisanteries ou dérisions entres alliés, très souvent injurieuses et ridiculisantes, permettant de décrisper les rapports. La méthode donne à l’allié tous les pouvoirs de dire sans détour ni ménagements a l’autre allié tout ce que bon lui semble. En cas de conflit le « frère à plaisanterie » peut user du pacte qui le lie à son frère pour lui faire entendre raison et le pacifier. Ainsi comme les entités (village, royaume) sont à majorité composée d’un même patronyme, la « fraternité à plaisanteries » peut contribuer à prévenir ou endiguer un conflit dans les sociétés traditionnelles. Même à l’heure moderne, dans les derniers conflits dit « Touareg », au nord du mali, les autorités politiques n’ont pas hésité à la mettre en pratique pour faire asseoir les tributs touareg et leurs frères à plaisanterie sonrai autour de la table de négociation et avec succès d’ailleurs.
– Les compétitions sportives et artistiques : les concours musicaux, les luttes traditionnelles et les courses de chevaux et de chameaux rapprochent les communautés et occasionnent des alliances.
La médiation
Elle est dévolue à des castes dites « N’gnama kala » (griots, forgerons, cordonniers, etc.) et aux anciens, parce que nous sommes dans des sociétés geroncratiques ou les le plus vieux bénéficient d’ une immunité et sont entendus en toutes situations et cela est encore d’actualité au Mali. Ces castes ont aussi de par la tradition, toute immunité en temps de paix ou de conflit pour parlementer avec ou entre des communautés en conflits et ils jouissent d’une crainte émanant d’une croyance généralement admise que leur propos est sacré et leur intégrité physique inviolable.
Dans les rapports inter communautés
Nous retrouvons ici également les alliances matrimoniales. On peut citer le mariage de la sœur de l’empereur du Mandé avec le roi Soumaoro Kanté et auparavant les empereurs du Ghana qui prenaient des épouses dans leurs royaumes vassaux. Les enfants issus de ces mariages devenaient en cas de conflits des médiateurs.
La diplomatie
Elle est pratiquée dans les conflits et les relations entre des entités étrangères. Au 10ème siècle, l’empereur du Ghana bien qu’étant animiste, religion ancestrale et traditionnelle du Mali, traitait avec beaucoup d’égard ses hôtes musulmans commerçants, pour la prospérité de son empire fondé sur le commerce transsaharien. Après la victoire de « Kirina » en 1235, qui est le point de départ de l’empire du Mali, les hommes de Soundjata déployèrent une vaste campagne diplomatique à l’échelle de l’empire et des entités issues de l’éclatement du Ghana, qui fut couronnée par la conférence de Kurukanfouga, laquelle donne les règles de fonctionnement du Mali et forme (vers 1236) la première constitution et déclaration des droits de l’homme de l’Afrique au sud du Sahara.
Nous vous ferons le plaisir d’exposer dans la prochaine parution, ces règles qui continuent de régir les rapports entre les hommes au Mali et d’essayer de montrer leur antériorité par rapport à la Déclaration universelle des droits de l’homme.
La coopération économique et commerciale à travers les foires
Au Mali le marché n’a jamais été qu’un espace d’affaires. Il reste de nos jours un espace de convivialité où se nouent des relations interpersonnelles et intercommunautaires. Les marchands profitent de ces rencontres hebdomadaires pour soumettre leurs différends aux plus anciens ou notables d’entre eux et acceptent par là même les sentences issues à l’amiable de l’arbitrage de ces derniers.
3- Les moyens de résolution modernes
A coté de ces moyens de résolution traditionnels qui sont utilisés autant dans les conflits de groupes que dans les litiges entres particuliers, il y a aussi les moyens modernes représentés par la justice étatique inspirée du modèle français à laquelle les parties peuvent se référer pour résoudre leur conflit ou litige.
Notons qu’en ce qui concerne le droit des affaires, le Mali fait partie de L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), créée par le Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Ile Maurice). Des actes uniformes complètent le Traité et parmi eux, l’acte uniforme du 11 juin 1999 sur l’arbitrage.
L’OHADA regroupe aujourd’hui 16 pays (les 14 pays de la Zone francs CFA, plus les Comores et la Guinée Conakry) et elle reste ouverte à tout Etat du continent africain (République Démocratique du Congo en cours d’adhésion).
L’organisation judiciaire au Mali consiste en un ordre de juridiction unique et répond au principe du double degré de juridiction.
Les Juridictions de 1er degré
Elles se repartissent en deux groupes : Les juridictions de droit commun et les juridictions spécialisées.
- 1-Les juridictions de droit commun : les tribunaux de première instance et les justices de paix à compétence étendue.
- 2-Les juridictions spécialisées : les tribunaux de commerce et les tribunaux du travail
Les juridictions du second degré
Les Cours d’ appel qui sont au nombre de trois pour tout le Mali (Kayes, Bamako, Mopti).
La Cour Suprême
Elle joue le rôle de cour de cassation. Elle est composée de trois sections : une section judiciaire, une section administrative et une section des comptes.
Par ailleurs au-delà de la justice moderne et des moyens traditionnels de résolution des conflits conventionnels exposés ci-dessus, dans les litiges entre particuliers l’implication des personnes jouissant d’une certaine notabilité peut toujours intervenir. Ces dites personnes jouent ainsi le rôle d’arbitre et proposent une solution aux parties.
En conclusion, la résolution des conflits et litiges au Mali traditionnel et d’aujourd’hui est davantage portée sur la prévention, le dialogue, la médiation, l’arbitrage et la diplomatie que sur des méthodes guerrières ou contraignantes. Et ceci est valable autant dans les litiges d’ordre privé que public.