Le 4 septembre 2008, l’Avocat général de la Cour de justice des Communautés européenne a rendu un avis défavorable aux « anti-suit injunctions » par lesquelles une juridiction interdit à une partie d’introduire ou de poursuivre une action en justice dans un autre Etat membre au motif qu’une telle procédure viole une convention d’arbitrage.

Introduction : les « anti suit injunctions »

Une « anti-suit injunction » est une injonction par laquelle une juridiction interdit à une partie d’introduire ou de poursuivre une action en justice devant une juridiction étrangère.

Les anti-suit injunctions sont le plus souvent prononcées par des juridictions de la Common law, telles que l’Angleterre. Le juge anglais pouvait jusqu’à récemment faire droit à ce type de recours à l’encontre d’une partie qui, par exemple, introduit ou poursuit une action à l’étranger en violation d’une clause attributive de compétence en faveur des juridictions anglaises.

Les anti-suit injunctions s’adressent à la partie défenderesse et non pas à la juridiction étrangère concernée. Si cette partie ne respecte pas l’injonction, elle s’expose à des poursuites pour outrage au tribunal (« contempt of court »). Les sanctions sont potentiellement lourdes : les peines vont jusqu’à l’emprisonnement ou une forte amende.

En 2004, la Cour de justice des Communautés européennes (« CJCE ») a décidé que les anti-suit injunctions à l’appui d’une procédure pendante devant une juridiction étatique étaient contraires au règlement n° 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale .

Depuis cette décision, le juge anglais n’est donc plus autorisé à prononcer une anti-suit injunction à l’appui d’une procédure pendante an Angleterre visant une action en justice introduite devant l’un des Etats membres de l’Union Européenne. Il peut en revanche toujours le faire si l’action concernée se déroule en dehors de l’Union Européenne.

Dans l’affaire West Tankers, la question était de savoir si le juge anglais pouvait prononcer une anti-suit injunction à l’appui d’une procédure d’arbitrage contre une partie ayant introduit ou poursuivi une action dans un autre Etat membre en violation d’une clause d’arbitrage.

Affaire West Tankers

Dans cette affaire, un navire avait heurté un embarcadère dans le port de Syracuse, Italie. Le contrat d’affrètement contenait une clause d’arbitrage en vertu de laquelle tous les différends résultant du contrat devaient être soumis à un arbitrage à Londres. L’application du droit anglais avait également été stipulée.

L’affréteur s’est fait indemniser par son assureur et a engagé une procédure d’arbitrage à Londres contre le propriétaire du navire. Suite à cet arbitrage, l’assureur a formé un recours contre le propriétaire devant un tribunal italien pour recouvrer les montants versés à l’affréteur. Le propriétaire a alors saisi les tribunaux anglais et a demandé en référé une injonction interdisant à l’assureur de porter le litige devant une juridiction autre que le tribunal arbitral au motif que le litige faisant l’objet du recours en Italie résultait du contrat d’affrètement et que les assureurs, qui agissait en vertu de la subrogation légale, étaient par conséquent liés par la clause d’arbitrage.

En première instance, le juge a fait droit à la demande du propriétaire. L’assureur a interjeté appel directement devant la Chambre des Lords. Celle-ci a considéré que les anti-suit injunctions n’étaient pas incompatibles avec le règlement n° 44/2001 au motif que celui-ci excluait expressément l’arbitrage de son champ d’application. La Haute juridiction anglaise a néanmoins posé une question préjudicielle à la CJCE pour savoir si oui ou non le règlement n° 44/2001 s’opposait au prononcé de telles injonctions.

Conclusions de l’Avocat général de la CJCE

L’Avocat Général a conclu que le règlement n° 44/2001 «s’oppose à l’injonction par laquelle une juridiction d’un Etat membre interdit à une personne d’engager ou de poursuivre une procédure judiciaire dans un autre Etat membre au motif qu’une telle procédure viole, de l’avis de cette juridiction, une convention d’arbitrage.»

D’après l’Avocat Général, «il n’est […] pas déterminant de savoir si la procédure visant à l’adoption de l’ « anti-suit injunction» … relève du champ d’application du règlement, mais cette question doit être posée pour ce qui est de la procédure contre laquelle l’injonction est dirigée… » Cela dépendra de l’objet matériel du litige. Dans l’affaire West Tankers l’objet du recours de l’assureur contre le propriétaire devant un tribunal italien était un droit à indemnisation délictuel qui tombait manifestement sous le coup du règlement n° 44/2001. L’avocat général a donc estimé qu’il appartiendrait au juge italien de se prononcer sur l’existence et l’applicabilité de la clause d’arbitrage dans le cadre du contrôle de sa compétence.

Conclusion

Bien que la CJCE ne soit pas liée par les conclusions de l’avocat général, celles-ci sont le plus souvent suivies par la Haute juridiction européennes. Après les anti suit injunctions à l’appui d’une procédure pendante devant une juridiction étatique, il est donc probable que les anti-suit injunctions à l’appui d’une procédure d’arbitrage seront prochainement interdites au sein de l’UE.

En pratique, seules les juridictions anglaises sont concernées par ces conclusions car les juridictions dont dépendent les autres centre d’arbitrage internationaux situés dans l’UE ne prononcent pas ce type d’injonctions.

La Chambres des Lords a attiré l’attention de la CJCE sur le risque que Londres subisse un désavantage concurrentiel par rapport à des centres d’arbitrage internationaux tels que New York, les Bermudes et Singapour, si les juridictions anglaises contrairement au juridictions situées au siège de ces centres, ne pouvaient plus prononcer d’anti suit injunctions. Mais l’avocat général a rappelé que «des motifs de nature purement économique ne peuvent justifier des violations du droit communautaire.»

Reste maintenant à savoir si la CJCE sera d’accord avec l’avocat général.