Je suis un homme du passé et de l’avenir lointain, je n’habite pas le présent. J’ai appris à me dessaisir d’un certain nombre de pensées réflexes et à conquérir un certain regard d’étranger sur le monde occidental […] J’ai appris à me ranger dans la vie, non pas du côté des intellectuels, mais des poètes et de tous ceux dont le discours vacille

(Pierre Legendre)

Signalons deux nouveaux versants d’une même, vaste, entreprise intellectuelle.

  • la parution, aux Belles Lettres, du dernier ouvrage  de Pierre Legendre, Le Visage de la main, un texte profond, poétique et illustré
  • l’ouverture du site Internet Ars dogmatica qui lui est consacré, et dont il a été un artisan actif : www.arsdogmatica.com

L’œuvre monumentale du penseur normand, agrégé de droit public, canoniste, psychanalyste, anthropologue, est scandaleusement méconnue en France ; 40 ouvrages, des dizaines d’articles et 3 films documentaires contrapontiques (« La fabrique de l’homme occidental » ; « L’ENA miroir d’une nation » ; « Dominium mundi, l’empire du management »), qui éclairent une ‘pensée continent’.

Depuis 60 ans, à l’écart des militants bornés, des intellectuels de cour, des universitaires rentiers de la révolte, des idéologies de pacotille, il trace le sillon d’une pensée profonde et féconde.

Legendre est précieux parce qu’il révèle le dessous des cartes, la théâtralité des montages institutionnels, la soupe primitive de la ‘bureaucratie patriote’, les espaces dogmatiques industriels, la fonction parentale des États, le travail du juriste (à savoir « l’art d’inventer les paroles rassurantes, d’indiquer l’objet d’amour où la politique place le prestige et de manipuler les menaces primordiales »). « Sans la cérémonie il ne saurait y avoir de discours hiérarchique, ni aucune parole solennelle, imputable à la Loi qui nous parle en dépit de son manque de corps » (‘Paroles poétiques échappées du texte’ 1982).

Il a vu venir et a dénoncé depuis belle lurette le tsunami de la débâcle normative, de l’absence de sens, le chaos de la re féodalisation, lesquels emportent aujourd’hui tout sur leur passage. Dans L’ENA Miroir d’une Nation (1999), Legendre s’interrogeait : « Les Français font-ils semblant de croire au tripot historique du service public ? … Où en est le grand jeu des croyances, la foi en l’administration ? … Que vaut notre vernis quand la construction des États implose ? ». 20 ans plus tard nous avons la réponse. La France « subit la morsure de la médiocrité » et l’heure est au désenchantement : « …le Monument politique administratif contemporain établi sur un vide de pensée: le discours français désormais sonne creux. L’État évidé est à l’image du sujet sans repère perdu dans son histoire, ignorant de soi, inapte de ce fait à se projeter pour s’approprier l’inattendu » (Pierre Legendre, Fantômes de l’État en France, Fayard 2015). Tout le monde rit jaune…

A l’instar d’un Saint Simon (Louis de Rouvroy), dans un style incomparable, l’œuvre magistrale, coulée brûlante, sans rhétorique ni savoir « enrouillé de pédant », marque le lecteur et restera.

Les 3 films sont regroupés dans un coffret disponible en ligne.

Le site Ars Dogmatica (en français mais aussi en latin, grec, italien, allemand, japonais, l’anglais est attendu très prochainement) présente et met en scène les ouvrages qui jalonnent cette pensée majeure.

Bonnes lecture et navigation !