Trois ans après la publication d’un document de réflexion sur le sujet, et suite à de nombreux débats publics et échanges au sein du réseau européen de concurrence, la Direction générale de la concurrence a livré ses "Guidances" (le document n’est pour l’instant disponible qu’en anglais…) sur l’application de l’article 82 du Traité aux abus d’exclusion commis par les entreprises en position dominante.

Ce document de 27 pages présenté le 3 décembre 2008 par Mme Neelie Kroes, Commissaire chargée de la concurrence, confirme la définition d’une approche économique, fondée sur les effets, dans l’application de l’article 82 aux abus d’exclusion. Cette approche avait été annoncée dans le document de réflexion et a été utilisée par la Commission en matière de position dominante dans des affaires récentes (notamment les affaires Wanadoo, Microsoft et Télefonica). Ce document prétend fournir des orientations claires aux entreprises, praticiens et autorités nationales de concurrence en ce qui concerne les principales pratiques d’exclusion que sont les accords d’exclusivité, les remises, les licences liées ou groupées, les pratiques prédatrices, le refus d’approvisionnement et les pratiques de ciseaux tarifaires.

Avant de détailler son approche basée sur les effets concernant chaque type de pratique, la Commission énonce un certain nombre de principes généraux.
Elle mentionne en premier lieu que sa politique d’application se concentrera sur la protection des consommateurs et du jeu de la concurrence et non sur celle des concurrents eux-mêmes. Ceci emporte des conséquences en particulier dans l’examen des pratiques de prix pour lesquelles la Commission va présumer qu’il ne peut y avoir aucun dommage au consommateur dans l’exclusion d’un concurrent moins efficace que l’entreprise dominante ("as efficient competitor" test).

Ensuite, en ce qui concerne l’établissement des pratiques, la Commission énonce qu’il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve que le comportement de l’entreprise dominante à réellement nui à la concurrence, mais doit uniquement démontrer l’existence de preuves convaincantes indiquant qu’un préjudice est susceptible de se produire. Il n’est donc pas nécessaire d’établir qu’un concurrent à été effectivement exclu du marché pour qu’elle décide d’agir.

Enfin, à l’instar de l’article 81§3 du traité applicable en matière d’entente, la Commission mentionne les moyens de défense dont les entreprises dominantes pourront se prévaloir en vue de démontrer l’efficience de leurs comportements ou leur nécessité : le gain d’efficience devra être le résultat de la pratique, la pratique devra être indispensable à la réalisation du gain d’efficience, le gain d’efficience devra l’emporter sur les effets négatifs de la pratique pour les consommateurs et la pratique ne devra pas éliminer une concurrence effective.

La présence de ces justifications semble confirmer l’abandon de l’approche per se de l’application de l’article 82 du traité en faveur d’une approche économique consacrée par cette communication.

Restera à la Commission à démontrer comment, en pratique, elle envisage d’appliquer sa communication. Les affaires Intel et Qualcomm devraient, gageons le, être des illustrations intéressantes.

Le praticien peut cependant rester dubitatif quant à la capacité de la Commission à rejeter l’idée d’une interdiction per se de certaines pratiques que la jurisprudence communautaire considère encore aujourd’hui comme constitutives d’abus de domination (on pense ici notamment aux remises et rabais fidélisants). En effet, le test que la Commission s’impose à elle-même semble tellement compliqué à mettre en œuvre qu’il ne saurait être exclu que la Commission y renonce, par peur de subir l’affront d’une contradiction judiciaire.
http://ec.europa.eu/competition/antitrust/art82/guidance.pdf