Les schémas de donation-cession organisés pour purger les plus-values imposables peuvent donner lieu à des abus de droit, notamment du fait de la chronologie des événements. Différents arrêts du Conseil d’État (9 avril et 28 mai 2014) et de la Cour administrative d’appel de Lyon (7 novembre 2013) complètent la jurisprudence récente[1] et brossent un tableau plus complet des conditions pouvant mettre en œuvre la théorie de l’abus de droit fiscal en matière de donation-cession de titres (hormis le cas particulier où le donateur bénéficie d’un quasi-usufruit).
La réalisation d’une donation de titres suivie de leur cession par les donataires, plutôt qu’une cession directe suivie de la donation du prix aux enfants, constitue un choix qui n’est pas en soi répréhensible au sens du droit fiscal. Certaines circonstances peuvent toutefois conduire à remettre en cause l’intention libérale des donateurs, l’opération étant alors constitutive d’un abus de droit fiscal au sens de l’article L 64 du LPF. En l’espèce, les contribuables avaient conclu le 23 juin une promesse de cession de titres sous condition suspensive de réalisation d’un audit des comptes de la société, puis enregistré le 4 juillet à la recette des impôts un acte de donation des titres à leurs enfants. Le paiement du prix des titres était intervenu le 10 juillet, soit une semaine après l’enregistrement de la donation. La donation était antérieure à la cession, dès lors que la date de la donation devait être fixée au plus tard lors de son enregistrement, et que l’accord du cessionnaire résultait du paiement du prix des actions. Rappelons que pour le calcul de la plus-value, le prix de revient des titres est leur valeur au jour de la donation (article 150-0 D, 1 du CGI). La donation avant cession de titres permet ainsi de « purger » la plus-value, et d’éluder le paiement de l’IR et des prélèvements sociaux.
Sont écartés les arguments tirés de l’écoulement d’un très bref délai entre les opérations, des restrictions apportées à l’exercice du droit de propriété des donataires (clause d’inaliénabilité des titres durant la vie des donateurs, obligation d’apporter les titres à neuf SCI, statuts octroyant aux donateurs cogérants des pouvoirs étendus de décision notamment pour la distribution des bénéfices), et de la réappropriation d’une partie du produit de la cession par les donateurs sous forme de virements des SCI à leur bénéfice, excédant le montant des revenus des placements effectués par ces sociétés.
Le Conseil d’État réaffirme le principe selon lequel l’administration ne peut mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit que sur le terrain de la fictivité de la donation (abus de droit par simulation), et non sur celui du but exclusivement fiscal de l’opération (abus de droit par fraude à la loi). La remise en cause par l’administration fiscale de la chronologie des opérations ne permet pas d’écarter l’intention libérale du donateur.
En revanche, adoptant une position contraire à celle adoptée par la Cour de cassation, et revenant sur le pouvoir discrétionnaire des juges du fond d’apprécier ou non l’existence de l’intention libérale[2], le Conseil d’Etat estime devoir contrôler, au titre de la qualification juridique des faits, si la donation ne s’est pas traduite par un dépouillement immédiat et irrévocable du donateur.
Ainsi la jurisprudence énonce désormais les conditions permettant de mettre en œuvre la théorie de l’abus de droit fiscal s’agissant de la plupart des opérations (hormis le cas particulier des donations-cessions faisant intervenir une convention de quasi-usufruit) et n’accorde pas aux circonstances suivantes le pouvoir de caractériser une donation fictive :
– la rapidité de la revente des titres par les SCI : ce critère est sans incidence, par lui-même, sur la réalité de la donation.
– la circonstance que l’acte de donation soit assorti d’une clause d’inaliénabilité durant la vie du donateur ne lui ôte pas son caractère de donation au sens de l’article 894 du Code civil.
– l’octroi aux donateurs usufruitiers de pouvoirs étendus de gestion et de décision au sein des SCI n’est pas de nature à remettre en cause le dépouillement immédiat et irrévocable des donateurs.
Contact : stephanie.pollet@squiresanders.com
[1] CE 28 mai 2014 n° 359911, CE 9 avril 2014 n° 353822, et CAA Lyon 7 novembre 2013 n° 12LY02321. [2] Tel que dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 juillet 2012 n°327295.