Et si, livre après livre, le prolifique romancier et essayiste Richard Millet, né à Viam, en Corrèze, en 1953, était en train de nous donner La Recherche – comme on dit chez les snobs cultivés – du XXème (ou XXIème) siècle ?

Il y a d’abord cette restitution majestueuse de gens disparus, d’un territoire défiguré, d’une époque révolue qui ont vu grandir le petit Corrézien. C’est avec une sorte de vénération qu’il ressuscite des caractères forts, rudes à la tâche et aux valeurs solides. Les décors deviennent familiers comme de vieilles photographies. Point n’est besoin de lire les ouvrages* dans l’ordre de leur publication. En les additionnant, on devient proche de chacun des personnages récurrents, on retrouve des lieux apprivoisés, on partage des modes de vie éteints.

Si Richard Millet s’attache avec une telle force à ce passé effacé, c’est qu’il n’aime pas notre époque de veulerie, de factice, de petitesse, dénuée – à ses yeux – de valeurs essentielles. Il déplore avec violence l’atteinte de la langue française. N’est pas forcément Racine celui qui ne s’exprime qu’avec quelques centaines de mots…

Dès lors le travail d’écriture de l’auteur se déploie en amples périodes dépassant fréquemment la page, fort éloigné des onomatopées ou éructations qui constituent parfois la langue orale, voire écrite d’aujourd’hui.

Et comme notre homme (à moins que ce ne soit le personnage qui le représente) n’aime pas la vie tout court, il transcende cette haine d’exister par l’orgueil du créateur hanté par son œuvre, à la façon des Romantiques.

Si dans tout cela on croit déceler une attitude passéiste, on aura pas tort. Richard Millet est indiscutablement réactionnaire. On veut bien reconnaître un incontestable génie littéraire à Céline, malgré le rejet qu’inspre une idéologie criminelle. Disons tout de suite qu’on n’en est pas là avec notre auteur.

Lire ces romans* de Millet, c’est une immersion passionnante dans un monde oublié, au rythme d’un style exigeant et accompli. Le lecteur a plaisir à suivre un auteur ardent et singulier dans la construction d’une œuvre d’ores et déjà monumentale.
Emdé

*Cette analyse est faite à partir des titres suivants, tous disponibles en Folio :
La gloire des Pythre, 380 p.,
L’amour des trois sœurs Piale, 353 p.,
Lauve le pur, 378 p.,
Le renard dans le nom, 123 p.,
Ma vie parmi les ombres, 700 p.,
Dévorations, 275 p.
D’autres titres de l’auteur offerts à votre curiosité complètent vraisemblablement cet univers.

Emdé signale aussi à nos lecteurs une petite chose de Milena Agus, « Le mal de pierres ».**
Milena est prof de lettres et d’histoire dans un lycée sarde du côté de Cagliari. Ce texte bref est un délice, bien trempé, sentant bon le romarin réchauffé au soleil de cette belle île quelque peu jumelle de la Corse. Vous lirez le Mal de pierres pendant votre prochain voyage en TGV.

** Le livre de poche # 31203, 140 p.