Cass. Soc. 12 juin 2012, n° 10-25.822

« Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics » (art 1 de la loi Toubon du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française).

L’anglais est devenu « la langue officielle de travail » au sein des filiales appartenant à des groupes internationaux. Cependant, à la fois soucieux de préserver un des éléments fondamental du patrimoine culturel français et d’assurer la sécurité juridique des différents acteurs de la relation de travail, le législateur impose l’usage du français dans la relation de travail.

Le Code du travail impose à l’employeur de rédiger ses contrats de travail en français (art L. 1221-3). Il en va de même pour tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail. La seule exception prévue concerne les documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers (art L. 1321-6).

Ces dispositions ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante portant sur la question du champ d’application de cette obligation. Quels sont les documents concernés par cette obligation ? Quels sont les documents que l’employeur doit impérativement traduire en français ?

C’est dans un arrêt du 2 mars 2006 que la Cour d’appel de Versailles a pour la première fois statué sur la question en confirmant un jugement enjoignant à une entreprise de mettre à disposition, sans délai, une version française des logiciels informatiques, des documents relatifs à la formation du personnel et à l’hygiène et à la sécurité (modes d’emploi ou d’utilisation de substances ou de machines dangereuses ou techniques). Toutefois, elle précise qu’il ne s’agit pas de méconnaitre la spécificité de l’activité de l’entreprise, son appartenance à groupe étranger et sa dimension internationale. L’usage simultané d’une langue étrangère n’est donc pas prohibé.

L’obligation de traduction a par la suite été reprise par d’autres juridictions et confirmée par la Cour de cassation qui a dernièrement déclaré inopposable à un salarié, soumis à un salaire variable, les documents fixant les objectifs à atteindre en anglais .

Néanmoins, dans un arrêt en date du 16 mai 2007 , la Chambre sociale était saisie d’un recours dirigé par un salarié qui sollicitait des dommages-intérêts en raison de la perte de ses droits d’options consécutive à un licenciement. Il affirmait que la clause du plan, qui subordonnait l’exercice de ses droits à une condition de présence, lui était inopposable car rédigée en anglais. La Cour rejette sa demande en relevant que le plan avait été signé par le salarié et « qu’il n’était pas contesté que ce dernier maitrisait parfaitement la langue anglaise tant à l’écrit qu’à l’oral ». Cette solution pourrait s’expliquer par le fait que le plan d’options n’émane généralement pas directement de l’employeur, mais de la société-mère étrangère.

La chambre sociale (Cass. Soc. 12 juin 2012, n° 10-25.822) vient de reconnaitre une exception inédite qui invite à se demander si elle n’entend pas interpréter moins strictement les termes de l’article L. 1321-6 du Code du travail. Une compagnie aérienne a remis à ses pilotes des documents techniques rédigés en anglais (fiches « Atlas » permettant de rouler, de décoller et d’atterrir sur tous les aéroports, documents techniques d’utilisation des appareils, programme de formation sur ordinateur, documentation relative à la légende des cartes de vol). En invoquant les difficultés rencontrées par les pilotes dans l’usage de ces documents, un syndicat a saisi le tribunal de grande instance pour qu’il soit ordonné, sous astreinte, à la compagnie de mettre à la disposition de ses salariés la traduction en langue française de ces documents. Fidèle à son interprétation stricte, la cour d’appel de Paris a fait droit à sa demande en ordonnant à l’employeur de traduire en langue française les documents litigieux dans la mesure où il n’établissait pas qu’ils avaient été reçus de l’étranger. La chambre sociale a cassé l’arrêt d’appel en précisant que « si selon [l’article L. 1321-6], tout document comportant des dispositions dont la connaissance est nécessaire au salarié pour l’exécution de son travail doit, en principe, être rédigé en français, sont soustraits à cette obligation les documents liés à l’activité de l’entreprise de transport aérien dont le caractère international implique l’utilisation d’une langue commune, et dès lors que, pour garantir la sécurité des vols, il est exigé des utilisateurs, comme condition d’exercice de leurs fonctions, qu’ils soient aptes à lire et comprendre des documents techniques rédigés en langue anglaise ». Ainsi, une nouvelle exception à l’obligation légale de traduction est reconnue aux documents dont le caractère international implique l’usage d’une langue étrangère commune, à condition que la maitrise de cette langue soit une condition exigée pour exercer les fonctions de salarié.

La question est désormais de savoir si la haute juridiction étendra cette solution à l’ensemble des entreprises ayant une dimension internationale.

____________________________________________________________________

[1] CA Versailles, 2 mars 2006, n°05-1244, 1ère chambre, 1ère section, Sté GE Medical Systems c/ Comité d’entreprise GE Medical Systems SCS et a.

[2] Obligation de traduction en français de logiciels nécessaires au travail de salariés français, travaillant dans une entreprise installée en France, et fabriqués par une entreprise ayant son siège en France, TGI Nanterre 27 avril 2007 n° 07-1901, SN2A CFTC c/ SA Europe Assistance France ; Condamnation d’une société informatique à traduire en français son progiciel européen de gestion, le didacticiel, c’est-à-dire l’application d’aide, en langue française étant jugé insuffisant, TGI Paris, 6 mai 2008, n° 08/00924, Nextiraone France c/ CCE Nextiraone et CGT Nextiraone.

[3] Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-67.492 (n° 1527 FP-PB), Dumont c/ Sté EDS France

[4] Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-45.281