La Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a rendu le 18 janvier 2007 son jugement dans l’affaire C-220/05 Auroux, faisant suite à une question préjudicielle du Tribunal Administratif de Lyon.

Le conseil municipal de Roanne (CMR) avait autorisé son maire à signer avec une société d’économie mixte d’aménagement (la Société d’équipement du département de la Loire "SEDL") un marché de travaux (la Convention) visant la réalisation d’un pôle de loisir à Roanne par tranches successives. La première tranche comportait la construction d’un multiplexe cinématographique et de locaux commerciaux ayant vocation à être cédés à des tiers, ainsi que divers ouvrages destinés à être remis à la commune. Les tranches ultérieures portaient essentiellement sur la construction d’autres locaux commerciaux ou de services. La SEDL s’était vue confier un ensemble de missions allant au-delà de la simple construction des ouvrages et incluant la recherche des fonds, les acquisitions foncières, et de manière générale la gestion du projet. Aux termes de la Convention, la commune de Roanne ("CR") participait financièrement à l’opération en contrepartie de la cession du parc de stationnement et de celle d’ouvrages destinés à des tiers et non encore revendus.

La SEDL, devait être considérée comme un pouvoir adjudicateur au regard de la directive sur les marchés publics de travaux.

Par une requête déposée devant le tribunal administratif de Lyon, les requérants ont introduit un recours en annulation contre la délibération du CMR, notamment au regard des règles du droit communautaire issues de la directive 93/37/CEE (la Directive) imposant des mesures de publicité et une mise en concurrence pour les marchés publics de travaux.

Le tribunal administratif a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes :

  • Une convention par laquelle un pouvoir adjudicateur confie à un second pouvoir adjudicateur la réalisation, dans un but d’intérêt général, d’une opération d’aménagement, dans le cadre de laquelle ce second pouvoir adjudicateur remet des ouvrages destinés à servir à ses besoins, et à l’expiration de laquelle le premier pouvoir adjudicateur devient automatiquement propriétaire de ceux des autres terrains et ouvrages qui n’ont pas été cédés à des tiers, constitue-t-elle un marché public de travaux au sens des dispositions de l’article 1er de la Directive ?
  • Pour l’appréciation des seuils visés à l’article 6 de la Directive convient-il de retenir, en pareil cas, le seul prix versé en contrepartie de la cession des ouvrages remis au pouvoir adjudicateur ou ce dernier et les participations versées pour partie à la réalisation des ouvrages ou enfin la totalité du montant des travaux ?
  • Le premier pouvoir adjudicateur est-il dispensé, pour conclure une telle convention, de recourir aux procédures de passation des marchés prévues par la même directive, aux motifs que cette convention ne peut être passée qu’avec certaines personnes morales et que ces mêmes procédures seront appliquées par le second pouvoir adjudicateur pour la passation des marchés de travaux ?

Pour la CJCE, une convention par laquelle un premier pouvoir adjudicateur confie à un second pouvoir adjudicateur la réalisation d’un ouvrage doit être considérée, indépendamment de la qualification qui peut lui être donné par tel droit national, comme constituant un marché de travaux publics au sens de la Directive, indépendamment du fait qu’il soit prévu ou non que le premier pouvoir adjudicateur devienne propriétaire de tout ou partie de cet ouvrage.

En retenant cette appréciation, la CJCE a rejeté les arguments développés par les défendeurs selon lesquels en allant au-delà de la simple mission de construction des ouvrages et en incluant des missions portant sur d’autres services, ladite Convention devait être exclue du champ d’application de la Directive. En effet, il ressortait de l’essence même de la Convention que celle-ci avait pour objet principal l’exécution d’un ensemble de travaux aboutissant à la réalisation d’un ouvrage au sens de la Directive. Les éléments de services prévus dans la Convention, tels l’acquisition foncière, la recherche des fonds, l’organisation d’un concours d’architecte et/ou d’ingénierie ainsi que la commercialisation des bâtiments devaient être regardés comme faisant partie de l’achèvement de cet ouvrage.

S’agissant des modalités de détermination de la valeur du marché en question, la CJCE a jugé que pour déterminer cette dernière, il convenait de prendre en compte la valeur totale du marché de travaux du point de vue d’un soumissionnaire potentiel, en ce compris les sommes que la CR devait acquitter auprès de la SEDL mais également toutes les recettes qui proviendront de tiers. La CJCE a considéré que les objectifs de la Directive visent précisément à garantir aux soumissionnaires établis dans la Communauté l’accès aux marchés publics. En conséquence, c’est à partir de leur point de vue que doit être calculée la valeur d’un marché pour l’application des seuils de l’article 6 de la Directive. Une appréciation différente serait en effet contraire à l’esprit de la Directive et permettrait à une entité adjudicatrice d’attribuer un marché qui aurait une valeur globale supérieure aux seuils sans appliquer les procédures de passation de marchés publics de travaux prévues par la directive.

Enfin, la CJCE a rejeté l’argument selon lequel un premier pouvoir adjudicateur pourrait bénéficier, conformément à son droit national, d’une dispense l’autorisant à ne pas recourir aux procédures de passation des marchés publics de travaux prévues par la Directive au motif que, conformément au droit national, cette convention ne peut être conclue qu’avec certaines personnes morales, qui ont elles-mêmes la qualité de pouvoir adjudicateur et qui seront tenues, à leur tour, d’appliquer lesdites procédures pour passer d’éventuels marchés subséquents.

Elle rappelle, d’une part, que les seules exceptions permises pour l’application de la Directive sont celles qui y sont expressément mentionnées et, d’autre part, que la CR ne saurait se prévaloir de la jurisprudence Teckal, en vertu de laquelle l’appel à concurrence n’est pas obligatoire pour des marchés conclus entre une collectivité territoriale et une personne juridiquement distincte d’elle, dès lors que ladite collectivité territoriale exerce sur celle-ci un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. En l’espèce, le fait que la SED soit une société d’économie mixte au capital de laquelle participent des fonds privés exclut, de facto, un tel contrôle analogue.

En conclusion, la passation de contrats successifs ne saurait permettre d’échapper aux seuils d’application de la Directive et par la même de permettre l’éviction des obligations imposées par celle-ci. L’arrêt Auroux recèle donc d’importantes implications pour les pouvoirs adjudicateurs pour ce qui concerne les conventions d’aménagement. Concrètement, les procédures de passation de marchés publics ont pleinement vocation à s’appliquer, y compris en cas de marchés de travaux conclus entre deux pouvoirs adjudicateurs.