L’assujettissement d’un trust à l’impôt de solidarité sur la fortune (« ISF ») est une question délicate car cette institution du système juridique anglo-saxon constitue un démembrement de propriété inconnu du droit français, même si la fiducie permet aujourd’hui d’atteindre des effets comparables. Or, pour être assujetti à l’ISF en France, il faut être propriétaire ou à tout le moins usufruitier des biens qui entrent dans l’assiette de cet impôt. Dès lors, la question se pose de savoir qui, dans le cadre d’un trust, est le propriétaire des biens mis en trust.

Par un arrêt du 31 mars 2009, la Cour de cassation tranche une partie de la question en décidant que la valeur d’un portefeuille de titres détenu par l’intermédiaire d’un trust américain révocable et non discrétionnaire, par un contribuable résident en France, doit être comprise dans son patrimoine taxable à l’ISF.
En l’espèce, une citoyenne américaine, résidente de France d’un point de vue fiscal, n’avait pas inclus dans ses déclarations d’ISF la valeur d’un portefeuille de titres détenu par un trust américain dont elle était la constituante. Après son décès, l’administration fiscale avait notifié puis recouvré des suppléments d’impôt sur la fortune. Considérant que la défunte n’était pas redevable de l’ISF au titre des biens en trust, ses héritiers avaient porté l’affaire devant la juridiction judiciaire.

Saisie du dossier, la Cour d’appel avait rejeté leur demande aux motifs que l’acte de trust prévoyait l’affectation des revenus au constituant d’une part, et la révocabilité du trust d’autre part. En effet, du vivant de la constituante, les trustees devaient détenir les biens dans le trust à son bénéfice et lui en payer les fruits ainsi que tout montant du principal, le cas échéant, sans limitation de montant, qu’elle pourrait demander à tout moment. En outre, la constituante pouvait révoquer le trust à tout moment et recouvrer la propriété des biens confiés ou encore exiger que tout ou partie du portefeuille soit liquidé, pour en percevoir le prix ou même, que les titres lui soient remis.

Dans le pourvoi formé à l’encontre de la décision d’appel, les héritiers faisaient valoir au contraire qu’un trust révocable ou irrévocable, simple ou discrétionnaire, emporte dès sa constitution un transfert de propriété des biens mobiliers et immobiliers au profit du trustee, lequel devient propriétaire légal (« legal owner »). Par conséquent, les valeurs mobilières détenues dans un trust appartiennent au seul trustee, qui n’est pas un simple dépositaire et peut seul procéder à leur vente. De plus, la constitution d’un trust sous le régime du droit des Etats Unis conduit à un démembrement inconnu du droit français entre le trustee, propriétaire légal et le bénéficiaire, propriétaire économique (« beneficial owner »). Ainsi, le constituant ne serait alors ni propriétaire, ni usufruitier au sens du Code civil français, de sorte que les biens en trust ne pouvaient être inclus dans les bases taxables du constituant en l’absence de toute disposition expresse du droit fiscal en ce sens.

La Cour de cassation approuve cependant le raisonnement de la Cour d’appel en relevant notamment les attributs du droit de propriété dont la défunte disposait, c’est-à-dire le droit de jouir et de disposer des titres confiés aux trustees et elle en conclut qu’ils devaient être compris dans la fortune imposable de cette dernière.

Si la solution intervient sans grande surprise car conforme à la position largement dominante de la doctrine sur la question, l’arrêt est néanmoins important puisqu’il s’agit de la première fois que la Cour de cassation établit que le constituant d’un trust révocable simple doit être considéré comme propriétaire des biens mis en trust. Pour autant, il ne répond pas, loin s’en faut, à toutes les questions que soulève le trust au regard du droit fiscal français.

On peut ainsi s’interroger sur la portée de cet arrêt au regard des autres impôts, en notant par exemple que la suite logique du raisonnement tenu par la Cour est que le fait de mettre des biens dans un trust révocable simple n’entraînerait un transfert de propriété ni au profit d’éventuels bénéficiaires, ni au profit du trustee et ne saurait donc donner lieu à application des droits de mutation à titre gratuit.

Par ailleurs, l’arrêt ne se prononce pas sur le cas de figure plus délicat des trusts irrévocables ou ceux qui sont discrétionnaires. Faut-il considérer par une interprétation a contrario que le constituant n’est pas redevable de l’ISF ? Faut-il que ces deux caractéristiques soient réunies pour que le constituant cesse d’être assimilé au propriétaire ? Si le constituant n’est plus propriétaire au regard de l’ISF, qui le devient à sa place ? S’il s’agit du trustee, cela conduira le plus souvent à une absence de perception d’imposition sur la fortune au titre des biens mis en trust dans la mesure où les trustees sont généralement des personnes morales, mais cela pourra soulever de grandes difficultés au regard d’autres impôts. Dans certaines circonstances, il pourrait s’agir du bénéficiaire du trust mais cette solution ne va pas de soi et ne saurait en tout état de cause avoir une portée systématique. Pour preuve, l’arrêt rendu par le TGI de Paris en 2004, par lequel celui-ci a jugé que la simple perception de revenus provenant de trusts américains ne suffit pas à établir que le bénéficiaire dispose d’un droit réel ou d’un droit de créance sur le trust ou les biens qui composent son actif et à faire de lui le redevable de l’ISF.