Cass. com. 29 mars 2017, n°15-17.659  ; 29 mars 2017, n°15-24.241  ; 29 mars 2017, n° 15-15.470

Nous avons déjà abordé dans cette revue les questions et difficultés que pouvaient susciter la compétence exclusive posée par les articles L. 442-6 III et D. 442-3 du Code de commerce en matière de pratiques anticoncurrentielles.

Ainsi, l’article D 442-3 du Code de commerce, depuis un Décret du 11 novembre 2009, attribue compétence exclusive pour statuer sur les pratiques anti-concurrentielles et notamment la rupture brutale de relation commerciale, à 8 tribunaux de commerce pour toute la France, la Cour d’appel de Paris étant seule compétente pour statuer sur les recours formés à l’encontre des décisions de ces tribunaux, fondées sur l’article L. 442-6 du Code de commerce.

Cependant, imaginons qu’un tribunal qui n’est pas sur la liste de l’article D. 442-3 du Code commerce soit saisi à mauvais escient pour se prononcer sur la rupture brutale d’une relation commerciale, qu’aucune des parties ne soulève l’exception d’incompétence, et que l’affaire soit dès lors portée en appel devant la juridiction d’appel naturelle du tribunal.

Ainsi, dans une affaire où le Tribunal de commerce de Narbonne, dont la compétence n’avait jamais été mise en cause, avait condamné les défendeurs a des dommages intérêts, ces derniers avaient interjeté appel devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Sans doute l’absence de tout référence à l’article L. 442-6 du Code de commerce par le demandeur les avait égarés.

La Cour d’Aix-en-Provence cependant s’est emparée de la question de compétence. Dans un arrêt du 4 décembre 2014 elle précisait que si l’article L. 442-6-5 I n’était pas expressément visé ni par le demandeur, ni par le Tribunal, la demande tendait à la réparation du préjudice résultant d’une absence de préavis et relevait donc des dispositions relatives à la rupture brutale de relation commerciale. La Cour a alors considéré que l’incompétence du Tribunal de commerce de Narbonne n’était pas une exception qu’il convenait de soulever avant toute défense au fond (in limine litis), mais une fin de non-recevoir, qui pouvait être relevée d’office par le juge et notamment le juge d’appel.

Constatant l’absence de pouvoir juridictionnel du Tribunal de commerce de Narbonne pour statuer, la Cour d’appel déclarait l’appel irrecevable, de sorte que l’instance prenait fin et le jugement de première instance, issu d’une juridiction incompétente, passait en force de chose jugée (le délai d’appel étant bien sur expiré).

Cette jurisprudence privait ainsi l’appelant, qui en l’espèce, n’était pas responsable du mauvais choix de juridiction, de son appel et d’un second degré de juridiction.

Cette jurisprudence avait pourtant était validée à plusieurs reprises par la chambre commerciale de la Cour de cassation[1]. Mais dans ces hypothèses, alors même qu’un jugement avait été rendu par un tribunal de commerce incompétent au regard de l’article D442-3, pouvait-on saisir la Cour d’appel de Paris, qui n’a pas vocation à statuer sur des appels émanant par exemple du Tribunal de commerce de Narbonne ?

Face aux difficultés créées par cette jurisprudence, la Cour de cassation a opéré un revirement dans trois arrêts du 29 mars 2017[2]. Elle souligne en effet que la jurisprudence présentée ci-dessus est « source pour les parties d’insécurité juridique quant à la détermination de la cour d’appel pouvant connaitre de leurs recours, eu égard aux termes mêmes de l’article D. 442-3 du code de commerce ; qu’elle conduit en outre au maintien de décisions rendues par des juridictions non spécialisées, les recours formés devant les autres cours d’appel que celle de Paris étant déclarés irrecevables, en l’état de cette jurisprudence ».

La Cour de cassation opère donc un revirement  (ce qu’elle précise expressément) et décide qu’il appartenait à la Cour d’appel dont l’arrêt lui était déféré en l’espèce, de déclarer l’appel recevable et d’examiner la recevabilité des demandes formées devant le tribunal saisi en violation des dispositions de l’article D 442-3 du Code de commerce. Cette nouvelle jurisprudence devrait aboutir à la constatation par la Cour d’appel saisie de l’excès de pouvoir de la juridiction du premier degré et à l’annulation du jugement entrepris.

Il appartiendra dans cette hypothèse au demandeur de saisir cette fois le bon tribunal, étant précisé que la saisine d’un tribunal incompétent interrompt la prescription. Certes les procédures pourront en être rallongées mais on évitera ainsi que les parties soient privées d’un second degré de juridiction.
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[1] Cass. com. 7 octobre 2014, pourvoi n°13-21.086 ou encore Cass. com.  31 mars 2015, pourvoi n°14-10.016
[2] Cass. com., 29 mars 2017, n°15-17.659 ; 29 mars 2017, n°15-24.241 ; 29 mars 2017, n° 15-15.470