La publication en août 2010 dans le magazine Capital d’un classement sur « les retraites en or des grands patrons » en France nous donne l’occasion de revenir sur les règles applicables concernant la rémunération des chefs d’entreprise dans les sociétés cotées. La tendance de fond observée depuis 2001 est un renforcement très important de la réglementation applicable aux dirigeants des sociétés cotées. Le législateur a pris en compte la demande de l’opinion publique, demandant plus de contrôle et de transparence sur ces rémunérations, à la suite de nombreux scandales, quand bien même les dirigeants français seraient moins payés que leurs homologues européens [1].

Cette réglementation a commencé en 2001, inspirée fortement des rapports Vienot de juillet 1995 et juillet 1999, et Bouton de septembre 2002. On peut cependant regretter un ajout de lois successives sans véritable homogénéité, et en prime élaborées rapidement (trop ?) à la suite de scandales financiers. N’est-on pas en train d’élaborer un statut juridique particulier pour ces hauts dirigeants ?
Pour l’anecdote, le patron qui bénéfice de la retraite la plus importante est le président du conseil d’administration de l’Oréal, Lindsay Owen-Jones avec 3,3 millions d’euros de retraite par an devançant le PDG de Danone Franck Riboud, qui devrait toucher 1,8 millions d’euros lors de sa retraite [2].
La consécration des principes de la Corporate governance

Le principe de transparence de l’information

La loi NRE n° 2001-420 du 15 mai 2001 a en quelque sorte été le marqueur et le signal fort pour le commencement d’une législation très stricte en ce domaine. Cette loi a donc posé le principe de la transparence de la rémunération totale et des avantages de toute nature, principe établi au profit des actionnaires. Ces avantages en nature sont par exemple une voiture, un appartement de fonction. Cette publicité des rémunérations concernait aussi les sociétés non cotées.

En outre, chaque année, un rapport spécial à destination des actionnaires doit être publié sur les attributions et les levées de stock-options.

Est intervenue ensuite la loi LSF (de sécurité financière), deux ans plus tard. Cette dernière a reposé sur trois grands objectifs dont une responsabilité accrue des dirigeants, un renforcement du contrôle interne et une réduction des sources de conflit d’intérêt. Cette loi (n° 2003-706) LSF du 1er août 2003 a posé la règle selon laquelle à l’assemblée générale des actionnaires un rapport sur le gouvernement d’entreprise et le contrôle interne doit être présenté, notamment en ce qui concerne les principes et les règles arrêtées pour déterminer les rémunérations et avantages sociaux de toute nature accordée aux mandataires sociaux. Ce rapport ne s’applique plus désormais qu’aux sociétés cotées (article L. 225-102-1 du Code de commerce).

L’élargissement de la publicité aux parachutes dorés et « retraites chapeau »

Ce renforcement de la réglementation s’est encore accentué avec la loi Breton pour la confiance et la modernisation de l’économie du 26 juillet 2005. Désormais, « les engagements pris au bénéfice des dirigeants sociaux par la société correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus, à raison de la cessation ou du changement de leurs fonctions, ou postérieurement à celles-ci sont désormais soumis expressément au régime des conventions réglementées ». Ce régime est relativement lourd puisqu’il suppose une délibération du conseil d’administration avec interdiction pour la personne concernée de prendre part au vote, une information des commissaires aux comptes, un rapport spécial de ces derniers sur ces conventions, et enfin un vote de l’assemblée générale ordinaire annuelle sur les conventions autorisées et sur le rapport des commissaires aux comptes. Ce régime est donc relativement lourd. Toute la question était de savoir quels étaient les engagements visés par la loi.

Deux éléments sont visés : les « retraites chapeau » et les parachutes dorés. Les parachutes dorés sont les indemnités ou avantages de toute nature conférés aux dirigeants à raison ou à la suite de la cessation de leurs fonctions dans la société. Les « retraites chapeau » sont des régimes de retraite supplémentaire consentis par la société au profit de ses dirigeants, qui donnent lieu au versement de pensions. Ces éléments doivent figurer dans le rapport annuel de la société ainsi que les modalités de leurs calculs. Le rapport annuel doit décrire ces compléments de rémunération en distinguant les éléments fixes, variables et exceptionnels (article L. 225-102-1 alinéa 3 du Code de commerce).

Au demeurant, une nouvelle loi va définir plus strictement les conditions de l’attribution de stock-options et d’actions gratuites. Ainsi, l’année 2006 va être marquée par le vote d’une loi n° 2006-1170, le 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié. Cette loi encadre l’attribution d’actions gratuites et de stock-options. C’est dans cet objectif que le rapport annuel doit présenter les principes et les règles fixées par le conseil d’administration pour la rémunération et les avantages de toute nature accordée aux mandataires sociaux. Du reste, le conseil d’administration doit décider soit que les options ne peuvent être levées ou que les actions ne peuvent être vendues par les intéressés avant la cessation de leurs fonctions, soit fixer la quantité des actions attribuées ou issues de levées d’options qu’ils sont tenus de conserver au nominatif jusqu’à la cessation de leurs fonctions (article L. 225-185 du Code de commerce).

L’introduction de la condition de performance

La réaction du législateur suite à de nombreux scandales

La loi du 21 août 2007, dite loi TEPA (loi n° 2007-1223, en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat) a postérieurement été votée dans le but de limiter les excès en matière de rémunération et d’éviter une répétition des scandales. Cette dernière marque une étape très importante dans la réglementation des rémunérations des dirigeants de sociétés cotées. Cette législation soumet les indemnités de départ à des conditions de performance (articles L.225-42-1 et L.225-90-1 du Code de commerce).

La loi interdit le versement d’indemnités de départ (éléments de rémunération, indemnités et avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la cessation des fonctions ou postérieurement à celles-ci) qui ne respectent pas des conditions liées aux performances du bénéficiaire appréciées au regard de celles de la société. Ces engagements concernant ces indemnités doivent être approuvés par l’assemblée générale des actionnaires, nécessitant une résolution spécifique pour chaque bénéficiaire (l’approbation est nécessaire lors de chaque renouvellement de mandat). De plus, cette loi impose désormais qu’aucun versement ne puisse intervenir avant que le conseil d’administration ou de surveillance n’ait constaté le respect des conditions prévues. Cette loi TEPA marque donc un véritable durcissement dans l’octroi des conditions de départ.

Deux réserves toutefois : la loi TEPA ne s’applique que si la société cotée est française, et pour les groupes de sociétés, seulement au sein de la société dirigée si elle est admise sur un marché réglementé, selon des commentateurs [3].

Ne sont pas visées par ce dispositif les indemnités dues en vertu des engagements de retraites à prestations définies (correspondant à l’article L. 137-11 du Code de la sécurité sociale), et d’une clause de non-concurrence.

Il convient d’ajouter deux remarques. D’une part, les primes d’arrivée (les « golden hellos ») au nouveau dirigeant, tout comme les stock-options (un moyen de fidéliser les dirigeants et de récompenser la performance de ces derniers) ne sont pas concernés par ce nouveau dispositif. L’absence des stock-options de cette nouvelle règle est donc pour le moins surprenante [4].

D’autre part, le mot performance n’est pas défini par le texte. La loi ne prévoit pas ces critères de mesure, toutefois l’obligation de performance correspond à une obligation de résultat. Selon le ministre de l’Économie de nombreux critères de mesure sont possibles comme l’emploi, le retour sur investissement, un certain nombre de ratios financiers, le cours de bourse ou le recours à l’investissement extérieur [5].

Le durcissement de la réglementation pour les dirigeants des sociétés aidées par l’État

La crise financière a affecté nombre d’entreprises en France en 2008-2009, entraînant du même coup le départ de dirigeants d’entreprises bénéficiant d’aides publiques temporaires avec des indemnités conséquentes. Le Gouvernement a une nouvelle fois réagi sous la pression de l’opinion, en élaborant un décret n° 2009-348 en date du 30 mars 2009, qui pose désormais des conditions pour la rémunération au sein des entreprises aidées par l’État ou bénéficiant du soutien de l’État du fait de la crise économique. Ce décret leur interdit le versement de stock-options ou d’actions gratuites. De plus, les éléments variables de rémunération doivent être autorisés par le conseil d’administration ou de surveillance, autorisation qui ne vaut que pour un an et qui doit être rendue publique. Une condition plus symbolique est par ailleurs ajoutée : l’absence de licenciement d’une forte ampleur.

De surcroît, les indemnités de départ sont fortement encadrées puisqu’elles ne peuvent pas dépasser un montant équivalent à deux années de rémunération, versées uniquement en cas de départ contraint et non volontaire de la part du dirigeant, sous réserve que le bénéficiaire remplisse des objectifs de performance suffisamment exigeants. Cette indemnité de départ ne peut pas être versée si l’entreprise connaît des difficultés économiques graves.

Un autre décret, n° 2009-445 est intervenu subséquemment le 20 avril 2009, interdisant l’octroi de retraites chapeau (retraites à prestations définies) au bénéfice des dirigeants de ces entreprises.

Quid du Code de bonne conduite AFEP-MEDEF, et quel rôle pour l’Autorité des marchés financiers ?

Nous le voyons bien, l’évolution de la législation est constante. Les recommandations de l’AFEP et du MEDEF le 6 octobre 2008 sous le regard plus qu’attentif du Président Sarkozy ont fait grand bruit et ont été abondamment commentées [6]. Parmi les principales mesures de ce Code de bonne conduite à l’égard des sociétés admises aux négociations sur un marché réglementé, figurent le fait de mettre un terme au contrat de travail en cas de mandat social, la suppression des indemnités de départ du dirigeant dont l’entreprise est en situation d’échec, la limitation de ces mêmes indemnités à deux ans de rémunération maximum, l’encadrement des régimes de retraites supplémentaires ou encore le renforcement des conditions d’octroi des options d’achat ou souscriptions d’actions et des attributions d’actions de performance.

En outre, l’AMF n’est pas absente de ce débat. Une de ses missions est de s’assurer de la qualité et de la transparence de l’information financière délivrée par les émetteurs [7].

La loi du 3 juillet 2008 lui a octroyé une nouvelle mission qui est d’examiner dans quelle mesure les sociétés respectent le principe « comply or explain ». Cette règle signifie que l’entreprise qui ne veut pas les appliquer doit donner des explications adéquates.

L’AMF publie par ailleurs des recommandations. Le 22 décembre 2008, l’Autorité a décrit l’information que les sociétés doivent donner concernant les rémunérations de leurs dirigeants et les programmes d’options pour les aider à établir leur document de référence.

La même Autorité a rendu un rapport ad hoc sur les rémunérations des dirigeants des sociétés cotées et la mise en œuvre des recommandations du code AFEP-MEDEF. Ces recommandations n’ont pas de caractère obligatoire, mais le Gouvernement avait prévu qu’à défaut d’application, il légifèrerait début 2009 [8]. Les sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne sont pareillement incitées à les appliquer [9].

Il faut noter qu’un nouveau rapport actualisé pour 2010 a été publié le 12 juillet 2010 [10]. Ce rapport constate que 100 % des sociétés, sur un échantillon de 60 présentes sur Euronext Paris, indiquent s’être fondées sur ce code AFEP-MEDEF, ou encore que 75% d’entre elles ont utilisé les termes « se réfèrent » ou « référence » contre 59 % en 2008. 88,5 % des sociétés du SBF 120 et 34 des entreprises du CAC 40 ont publié, selon les souhaits du Medef et de l’Afep, un tableau présentant une synthèse des rémunérations, des stock-options et «actions de performance» (les actions gratuites attribuées à chaque dirigeant) [11].

Dans ce rapport, l’AMF formule des propositions (des pistes de réflexion). Ainsi, elle invite les sociétés à établir des critères de performance sérieux et exigeants pour l’attribution d’options de souscription ou d’achat d’actions ou d’actions de performance. Du reste, elle incite les entreprises à prendre en compte la recommandation de la Commission européenne du 30 avril 2009 sur le rôle des actionnaires.

L’AMF outre son pouvoir de recommandation, conserve son pouvoir de sanction, notamment pour tout ce qui concerne les règles touchant aux marchés financiers.

En conclusion de ce propos, il semble important de faire deux observations. Tout d’abord, d’après un article paru dans le journal Le Monde, selon une étude du cabinet de conseil en communication financière Investorsight, vingt retraites chapeaux ont été soumises au vote des actionnaires lors des assemblées générales du printemps 2010, dont « au moins huit » sont nouvelles, et le cabinet de conseil Hewitt estime que 35 sociétés du CAC 40 possède des systèmes de retraites chapeaux [12].

Enfin, en droit, il n’existe pas de principe de décence. Le Code civil parle plutôt de « bonnes mœurs » (article 1183 du Code civil) [13]. Il conviendrait en quelle que sorte que les dirigeants s’autorégulent, une idée jugée folle par certains praticiens [14].

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[1] Y. Le Galès, Les dirigeants français sont moins payés que les autres, Le Figaro, 5 mars 2010

[2] Le Figaro, Les retraites en or des grands patrons, 21 juillet 2010

[3] Y. Paclot, C. Malecki, Les rémunérations différées des dirigeants dans les groupes de sociétés après la loi TEPA, 01 juin 2008, BJS, n° 6, p. 525.

[4] Y. Paclot, C. Malecki, Le nouveau régime des rémunérations, indemnités et avantages de dirigeants des sociétés cotées, D. 2007, p. 2481

[5] JOAN, Le ministre de l’Economie, 2e séance, 13 juil. 2007

[6] G. Notté, Rémunération des dirigeants de sociétés cotées, JCP E, oct. 2008, n° 41, act. 441

[7] Etude, Les rémunérations des dirigeants, JCP E, 17 déc. 2009, n° 51, 2195

[8] M. Germain, Rémunération des dirigeants, évolution ou révolution ?, JCP E, 4 juin 2009, n° 23, p. 1576

[9] Ph. Portier, Commentaires sur les recommandations du MEDEF et de l’AFEP sur les « parachutes dorés », JCP E, 6 nov. 2008, n° 45, p.2372

[10] www.amf-france.org/documents/general/9021_1.pdf

[11] Y. Le Galès, Salaires : les patrons plus transparents, Le Figaro, 18 nov. 2009

[12] G. Gatinois et A. MicheL, Retraites chapeaux : rien n’a véritablement changé, Le Monde, 14 juin 2010

[13] A. Masson, Existe-t-il un principe de décence en droit ?, GP, 9 déc. 2003, n° 343, p.7

[14] A. Bernard, Le marché autorégulé, « une idée folle » ?, D. 2009, p. 2289