« Les femmes » [1]. Qui devinerait sous le titre on ne peut plus général du dernier roman de T.C.Boyle, une biographie de Frank Lloyd Wright, le célèbre architecte américain mort en 1959 ?

Dans une note liminaire, Boyle, écrivain et enseignant, né en 1948, précise : « Le texte qui suit est la re-création romanesque de certains éléments de la vie de Frank Lloyd Wright, de ses trois épouses et de sa maîtresse. Si certains événements et personnages décrits appartiennent à la réalité historique, tous les dialogues et situations sont inventés, à l’exception des citations extraites d’articles de l’époque ».

C’est le type même de projet auquel se confrontent volontiers quelques noms parmi les plus célèbres de la littérature étatsunienne d’aujourd’hui, dans un pays où l’art d’écrire des romans est enseigné dans les universités. S’appuyant sur une solide documentation, l’auteur révèle peu à peu la personnalité hors du commun du personnage principal, créateur non-conformiste, doté d’un ego sans limites et qui heurtera son pays et son époque tant par la nouveauté révolutionnaire de son art que par sa vie personnelle, peu en accord avec le puritanisme ambiant de la société de son temps. Les femmes qu’il a aimées et qui l’ont adulé successivement le suivront au fil des ans et les drames ne leur seront pas épargnés, jusqu’à l’atrocité.

Imaginant un narrateur fictif fortement impliqué dans les faits qu’il rapporte, T.C. Boyle s’offre la coquetterie de bouleverser la chronologie. La matière est riche et la puissance d’évocation du romancier brillante de sorte que ce gros volume se dévore comme un thriller.

Hasard du calendrier : « Loving Frank » [2] de Nancy Horan, journaliste et écrivaine, paraît presque simultanément dans Le Livre de Poche. L’ouvrage, un peu moins copieux mais non moins sérieux que celui de Boyle, limite son propos à l’épisode Mamah Borthwick Cheney, l’épouse d’un client de Wright, devenue la maîtresse follement éprise et passionnément aimée de l’architecte. Féministe proclamée, elle affrontera les scandales suscités par une presse cannibale hypocrite, plus soucieuse de gros tirages que de valeurs morales. Elle finira tragiquement, comme l’une des victimes d’un horrible massacre.

On peut trouver son compte à la lecture d’œuvres impersonnelles, un rien fabriquées, mais marquées dans les deux cas du sceau du talent. On n’est pas fâché non plus de quitter un moment une certaine littérature à la française où l’auteur, jeune ou moins jeune, se contemple le nombril avec une complaisance qui finit par lasser.

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[1] Grasset éditeur Le Livre de Poche 32071 700 pages

[2] Buchet Chastel Le Livre de Poche 32066 567 pages