La nécessité de la réforme semble faire l’unanimité. Le code civil a vieilli en plus de deux siècles et ne reflète plus le droit positif en la matière, la jurisprudence est fluctuante et source d’insécurité, particulièrement dommageable dans le domaine économique et à l’heure où le droit fait l’objet d’une vive concurrence internationale.

Les travaux d’éminents spécialistes se sont succédés depuis 2005 sous la forme d’avant-projets (projet Catala, projet de la Chancellerie en 2011, projet Terré en 2013).

Fort de ces constats, le gouvernement décide de mettre en œuvre la réforme par ordonnance. C’est ainsi que l’article 3 du projet de loi de modernisation et simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures pour réformer deux volets du droit des obligations : les règles relatives au droit des contrats et celles relatives au régime et à la preuve des obligations [1].

Le gouvernement est décidé à aller vite, la procédure accélérée est engagée dès le dépôt du texte au Sénat le 27 novembre 2013 et le projet de loi ne doit donc faire l’objet que d’une seule lecture par chaque assemblée.

Le « oui, mais » du Parlement

La commission des lois du Sénat ne remet en cause ni la nécessité de la réforme, ni son urgence, mais refuse la voie de l’ordonnance :

« 1.  Une réforme du droit civil de cette ampleur doit être soumise au Parlement […]
2. Loin d’être uniquement technique, une telle réforme pose d’importantes questions politiques […]
3. La perspective d’une ratification n’est pas une garantie suffisante […]
4. Le recours à l’ordonnance ne fera pas forcément gagner de temps à la réforme […]
5. La cohérence de l’avant-projet du Gouvernement est mise en cause par le recours à l’ordonnance » [2]

Ce cinquième argument repose sur le fait que la réforme de la responsabilité contractuelle n’est pas envisagée dans le cadre de l’avant-projet d’ordonnance, mais serait rattachée à la réforme ultérieure de la responsabilité civile que le gouvernement s’est engagé à réformer par un projet de loi soumis au Parlement.

Cette dissociation est critiquée par le rapporteur de la commission des lois du Sénat « une lacune majeure dans le nouveau régime juridique, puisqu’un des remèdes à l’inexécution contractuelle (l’engagement de la responsabilité contractuelle) ne sera pas traité par la réforme ».

Bien que le gouvernement, par la voix de la garde des Sceaux, ait tenté de réintroduire l’article 3 du projet de loi initial par un amendement au cours de la discussion en séance publique au Sénat, insistant sur le sérieux, la compétence et la variété des intervenants au sein des groupes de travail ayant inspiré l’avant-projet d’ordonnance, « fruit de vingt ans de réflexion de qualité », arguant finalement « je suis persuadée […] que si la réforme du droit des contrats n’est pas mise en œuvre par voie d’ordonnance, elle n’aboutira pas sous ce quinquennat », le Sénat (à la quasi-unanimité) ne l’a pas suivi, ni la commission des lois de l’Assemblée nationale qui a maintenu la suppression de l’article 3, tout en précisant « L’examen de cette réforme par la voie d’un projet de loi ordinaire exigerait d’y consacrer un temps très significatif ».

Le texte de l’avant-projet d’ordonnance n’ayant pas été officiellement publié [3] et l’avenir du projet restant incertain, peu de commentateurs se sont publiquement exprimés sur le fond de la réforme telle qu’envisagée par le gouvernement.

Le professeur Philippe Stoffel-Munck dans une interview publiée par Dalloz le 20 janvier [4], présente l’avant-projet du gouvernement comme « un mixte des deux projets [Catala et Terré], éclairé par les observations critiques dont ils ont été l’objet ». De son point de vue le sujet est technique ce qui justifie le recours à l’ordonnance : « faire subir à un tel pan du droit le risque d’être livré au tumulte des symboles et des passions politiques serait dangereux ».

Au contraire, la commission des lois du Sénat estime qu’ « une telle réforme pose d’importantes questions politiques » et qu’il appartient au Parlement de se prononcer sur certaines de ses orientations, alors que l’avant-projet d’ordonnance les tranche déjà : 

« Il en va ainsi, comme l’a observé M. le professeur Laurent Aynès, de l’équilibre à retenir entre l’impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge, ou une modification des termes du contrat, et celui qui s’attache à l’autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu’une partie reste tenue par ces engagements, même s’ils lui deviennent défavorables. Faut-il ainsi donner plus de pouvoirs au juge du contrat ? Sanctionner d’éventuelles clauses abusives ? Contraindre à une renégociation des termes du contrat lorsqu’il devient économiquement trop coûteux pour l’une des parties ? L’avant-projet soumis à votre rapporteur tranche ces questions sur lesquelles il devrait revenir au législateur de se prononcer.
La réforme envisagée pose aussi la question de la préférence donnée à la survie du contrat, pour en forcer l’exécution ou à la sortie facilitée du contrat par la sanction pécuniaire de l’inexécution. Faut-il autoriser la résiliation unilatérale du contrat ? Quels moyens donner à l’exécution des obligations ?
Enfin la réforme impose un choix entre un droit conceptuel, plus abstrait, mais plus facilement utilisable par la jurisprudence pour s’adapter aux innovations, ce qui est le modèle du code civil jusqu’à présent, ou un droit plus descriptif, plus lisible pour les citoyens, mais moins souple pour le juge. Relève, par exemple, de ce choix, la décision de supprimer ou non la notion de ‘cause’. »

On retient de l’analyse du professeur Stoffel-Munck, que le projet de réforme, qui vise à rendre le droit des obligations plus lisible en codifiant les solutions jurisprudentielles, consacre à plusieurs reprises le pouvoir d’intervention du juge sur le contrat (par la suppression de clauses supposées créer un déséquilibre significatif entre les parties, par le refus de l’exécution forcée si le coût en est manifestement déraisonnable, la consécration de la théorie de l’imprévision, la révision du prix par le juge…), ce qui serait de nature à fragiliser la force obligatoire du contrat et ne favoriserait pas, par ailleurs, le rayonnement international du droit français et l’attrait de la justice française.
Pour le professeur Mazeaud [5], la réforme proposée serait la codification des « acquis de la réforme déjà accomplie » par la jurisprudence, la doctrine et la pratique, complétée d’adaptations et d’innovations visant d’une part à « favoriser les échanges économiques » et de l’autre à « garantir la protection des contractants faibles ». Il qualifie la réforme envisagée de « révolution tranquille du droit français des contrats ».

Quoi qu’il en soit, au vu du rejet en cours de la voie de l’ordonnance par le Parlement et de l’encombrement du calendrier législatif, la réforme tant attendue ne sera vraisemblablement pas pour cette année, ni même pour les trois ans à venir si l’on en croit la garde des Sceaux.


[1] Lire l’éditorial d’Antoine Adeline « Réforme du droit des obligations et obligation de réforme » [2] Rapport n° 288 (2013-2014) de M. Thani MOHAMED SOILIHI, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 janvier 2014
  [3] Un document de travail datant du 23 octobre 2013 a en revanche été diffusé le 15 janvier par le journal Les Echos, sur son site internet : www.lesechos.fr/economie-politique/france/document/0203242436733-document-avant-projet-de-reforme-du-droit-des-contrats-643031.php [4] « Réforme du droit des obligations : la force obligatoire du contrat en danger » Dalloz Actualité 20 janvier 2014 [5] « Droit des contrats : réforme à l’horizon » Recueil Dalloz 2014, n°291